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084 - C.R.Acad.Sc. Paris, t.288 (5 mars 1979) Série D, p. 803-806.
Le rôle des étapes successives de déformation dans la tectonique alpine du massif du Pelvoux (Alpes occidentales)

Note (*) Maurice Gidon, transmise par Jean Aubouin.

FIGURES


Les écaillages du socle cristallin du Pelvoux sont pour l'essentiel dûs aux serrages Nord-Ouest - Sud-Est « antésénoniens » bien connus en Dévoluy. La tectonique post-nummulitique plus modeste, se traduit principalement par le jeu coulissant de blocs en mosaïque.

Overthrusts involving the Pelvoux crystalline basement are probably due to the North-West - South-East presenonian shortenings already known in the Devoluy region The main effect of the more modest postnummulitic tectonics is mosaic strike slipping.


Bien que des plis et des chevauchements anténummulitiques aient été mis en évidence de longue date à la bordure sud du massif du Pelvoux [I] et plus récemment à ses abords nord orientaux [2] le rôle de cette étape tectonique a été considéré plus ou moins explicitement comme minime par les auteurs qui ont étudié la structuration alpine du cristallin de la partie orientale de ce massif ([3]-[4]). En fait diverses données portent à réviser cette opinion.

1. CARACTÈRES DE LA TECTONIQUE POSTNUMMULITIQUE. -

(a) Les déformations postnummulitiques du socle cristallin n'ont pas l'ampleur et le caractère tangentiel qui leur a été attribué: déjà, à la marge sud du massif, le cristallin n'est pas impliqué dans les écailles de Soleil Boeuf; qui chevauchent le Nummulitique du Vieux Chaillol. Plus au Nord-Est. entre Sirac et vallon de l'Eychauda. les « écaillages postnummulitiques » s'interprètent de façon plus satisfaisante par des décrochements dextres orientés NE-SW [5], accompagnés, il est vrai, d'effets secondaires de chevauchement au niveau de la couverture sédimentaire, notamment au col de Méollion : le mouvement coulissant dextre y est cependant attesté par les crochons synclinaux à axe très redressé). Plus au Nord-Est encore, entre Ailefroide et le col du Lautaret, on a pu montrer récemment [6] que les dispositions attribuées à des chevauchements postnummulitiques correspondent soit à la présence d`olistolites cristallins soit à des décrochements sénestres orientés WNW-ESE: en définitive il n`y a donc pratiquement pas de chevauchements postnummulitiques

(b) L'importance des décrochements montre qu'à cette époque le massif cristallin a joué le rôle d'un môle résistant, que les masses qui se déplaçaient d'Est en Ouest, lors des serrages tardifs. contournèrent au prix de coulissements conjugués, dextres du côté sud et sénestres du côté nord (fig ) En fait on sait que de tels coulissements affectèrent toute la masse du cristallin puisqu'on en observe à la marge Ouest du massif (accidents dextres NE-SW à rejet kilométrique du Bas Valgaudemar et d'Aspres-les-Corps [7]) et même à l`intérieur de celui-ci (faille du flanc méridional du synclinorium de Morges [4])

La déformation postnummulitique du cristallin du Pelvoux s'apparente donc plus, en définitive au jeu d'une mosaïque de blocs losangiques qu'à celui d'une imbrication de lames tangentielles.

2 CARACTÈRES DE LA TECTONIQUE ANTÉNUMMULITIQUE -

(a) Les déformations anténummulitiques ont certainement été sous-estimées; leur caractère d`assez vastes recouvrements est déjà attesté par l'ampleur plurikilométrique du chevauchement du cristallin sur le jurassique dans le soubassement des grès du Champsaur, en Champoléon D'autre part des observations récentes [6] montrent que les écailles cristallines de la marge orientale du massif (secteur de l'Eychauda et du Combeynot) sont elles aussi anténummulitiques. Il en est de même pour le chevauchement du cristallin du Combeynot sur le mésozoïque du synclinal d'Arsine: en effet le ploiement et le renversement de la couverture triasico-liasique liés à ce chevauchement se font selon un axe SW-NE et n'affectent en aucune manière les terrains nummulitiques. Enfin le chevauchement de la Meije lui même doit dater de cette époque car il ne recoupe pas les écailles anténummulitiques qui se développent dans la couverture mésozoïque à l'est de la Grave (et ne saurait donc leur être qu'antérieur ou contemporain): en fait il apparaît donc que, pour l'essentiel la structuration tangentielle en écailles imbriquées est dans le massif du Pelvoux antérieure à la transgression nummulitique.

(b) La disposition des structures anténummulitiques se caractérise par un double déversement, de part et d'autre d'une ligne de divergence. orientée NE-SW. qui passerait grossièrement par Vallouise et Saint-Bonnet-en-Champsaur les chevauchements sont respectivement déversés vers le Sud et vers le Nord-Ouest. Or l'on sait qu'un double déversement régit aussi les plis antésénoniens du Dévoluy. déversés au Nord-Ouest ([8]-[9]) au nord de Veynes mais nettement chevauchants vers le Sud au sud de cette localité [8]; de plus la ligne de divergence prolonge pratiquement celle du massif du Pelvoux. Cette homologie structurale frappante milite fortement en faveur de la conception suivant laquelle les chevauchements anténummulitiques du Pelvoux ne sont que l expression. au niveau du socle des serrages qui ont créé les plis «antésénoniens» du Dévoluy et qu'ils sont donc de même âge.

De ce fait le massif du Pelvoux et son prolongement structural occidental (Dévoluy Baronnies) correspondaient donc, avant le dépôt du Nummulitique. à une voussure de socle en forme de horst déversé sur ses bordures, dont l`altitude s`accroissait d`Ouest en Est. comme en atteste le f`ait que la profondeur maximale atteinte alors par l`érosion s`observe à la marge est du Pelvoux [10].

3 ASPECTS POLYPHASÉS DE LA TECTONIQUE DU PELVOUX. - La superposition des déformations propres aux phases anté et postnummulitiques paraît susceptible d'expliquer diverses particularités de la géométrie tectonique du massif cristallin [l l] :

(a) en premier lieu la forme générale du massif, qui est grossièrement celle d`un quadrangle à diagonales N-S et E-W et qui s oppose ainsi à celle. allongée selon l`axe de l'arc alpin. des autres massifs cristallins externes, résulte sans doute de la structuration et de la suréIévation suivant un axe SW-NE qui ont affecté ce massif avant les serrages E-W:

(b) d'autre part divers dispositifs « synclinaux », à remplissage sédimentaire ont cartographiquement, un dessin en étoile; il semble bien qu'il faille les expliquer par la déformation de synclinaux néocrétacés (orientés NE-SW). à l occasion du jeu postnummulitique de failles coulissantes conjuguées délimitant des « coins » générateurs de poinçonnements horizontaux dans la direction SW-NE [12]; ce schéma. déjà proposé pour plusieurs régions voisines [13] semble particulièrement bien adapté à l'interprétation du « synclinorium en ombilic » [4] de l'Aiguille de Morges; en effet sa bordure Nord, orientée N 80 et affectée de replis d'axe NW-SE très redressés (rapportables aux serrages EW, tardifs) doit représenter le flanc septentrional initial d'un vaste synclinal parallèle à celui du Champoléon [14]. Ses autres bordures, très faillées, correspondent vraisemblablement, au contraire, à un système de cassures conjuguées. Elles s'organisent effectivement en deux dièdres saillants se poinçonnant mutuellement: celui du Sirac qui s'enfonce vers l'Ouest dans le sédimentaire du synclinorium et celui du Haut Champoléon (Crupillouse - Cédéra) qui fait au contraire saillie vers l'Est. La combinaison de ces mouvements horizontaux avec une tendance à l'enfoncement du coin du Champoléon sous celui du Sirac, plutôt chevauchant, rend compte de la virgation et du basculement des schistosités méridiennes observables dans ce secteur (11) de façon beaucoup plus satisfaisante qu'un hypothétique coulissement sénestre N 40 (dont on ne trouve aucun indice par ailleurs).

En fait toute l'extrémité Nord-Est du massif du Pelvoux peut elle-même être considérée comme un tel coin, enfoncé vers l Est, dont le poinçonnement est ressenti jusqu'au sein de la zone briançonnaise, et à l'intérieur duquel les synclinaux anténummulitiques ont été basculés et écrasés dans le sens E-W.

4. CONCLUSIONS. - En définitive dans le massif du Pelvoux les phases de serrage Est-Ouest, postnummulitiques, n'ont provoqué, outre le redressement ou le basculement des bordures Est et Ouest, qu'un jeu en mosaïque de blocs coulissants (et éventuellement de légers rejeux de chevauchements antérieurs). Au contraire la tectonique anténummulitique comporte une étape, probablement néocrétacée, qui est essentiellement responsable des structures tangentielles et doit être largement prise en compte pour expliquer la complexité des structures actuelles.


[ I ] P. LORY, C. R. som. Soc. géol. Fr. . 1894. p. 162.
[2] R. BARBIER Trav. Lab. géol. Univ. Grenoble, 39. 1963. p. 239-246.
[3] P. GIDON. Trav. Lab. géol. Univ. Grenoble, 31, 1954, p. I -200.
[4] J. VERNET Bull Serv. carte géol. Fr., n° 275, 1965. p. 131-424.
[5] M. GIDON, Trav. Lab. géol. Univ. Grenoble, 41, 1965. p. 177-185.
[6] C. BRAVARD et M. GIDON. Géol. alpine, 55, 1979 (sous presse).
[7] M. GIDON, J. L. PAIRIS et J. APRAHAMIAN, Comptes rendus, 282. série D. 1976. p. 271.
[8] M. GIDON J. L. PAIRIS, H. ARNAUD, J. APRAHAMIAN et J. P. USELLE, Géol. alpine 46, 1970. p. 87.
[9] H. ARNAUD, Comptes rendus, 278. série D, 1974, p. 697.

[10] Plus à l'Est. au-delà du front pennique. cet axe de soulèvement ne se prolonge pas dans les zones internes: on doit donc se demander s'il s effaçait dans l'intervalle masqué par les charriages ou si ce n'est pas lui qui se poursuit, suivant un tracé actuellement dirigé vers le Nord. par les témoins de la « chaîne arvinche » jalonnant la marge de la zone ultradauphinoise; ce serait alors l'indice d'une déformation de cet axe par des cisaillements sénestres à l'échelle de l Arc alpin.

[I l] Au niveau de l'analyse des microstructures le caractère polyphasé de la déformation de la couverture a déjà été décrit dans la moitié ouest du massif: J. R. GRATIER, B. LEJEUNE et J. L. VERGNE, Thèse de 3° cycle, Grenoble, 1973.

[12] Sans qu'il soit le plus souvent nécessaire de faire appel à un « gonflement d'amygdaloïdes de socle » (4) coinçant entre eux des ombilics sédimentaires.

[13] Région de Bourg d'Oisans (11), marge ouest du massif (7) et couverture sédimentaire entre Gap et Sisteron: M. EHTECHAMZADEH-AFCHAR et M. GIDON, Géol. alpine, 50, 1974, p. 57-69.

[14] Attesté en outre par l'existence (Il) d'un microplissement E-W (repris par les schistosités méridiennes).


Laboratoire de Géologie alpine n° 69, associé au C.N.R.S., Institut Dolomieu, rue Maurice Gignoux. 38031 Grenoble Cedex.


Figure :