par Maurice GIDON*, Jean-Claude BARFETY** et Jacques DEBELMAS*
* Laboratoire de Géologie alpine associé au C.N.R.S..
(L.A. n° 69). Institut Dolomieu, 38031 Grenoble.
** B.R.G.M.. 18· rue Général-Champon, 38100
Grenoble.
RÉSUMÉ - La bordure ouest du synclinal d'Arsine contient un panneau kilométrique de socle cristallin inclus dans les sédiments de la fin du Dogger. Ce panneau glissé repose encore a son extrémité ouest sur le soubassement cristallin à partir duquel il a été émis: il ressemble en cela à la majorité des olistolites de grande taille connus dans les zones externes alpines dont le déplacement a éte insuffisant pour les déconnecter totalement de leur secteur d'origine.
SUMMARY. - On the western slope of the Arsine syncline, a slab of crystalline rocks slipped down the crystalline basement and was included into sediments of late Dogger age. Its western end rests upon the crystalline basement from which it was detached. By this caracter it resembles many olistolites of great size previously described in the external zones of the Western Alps. Nearly none of them glided down far enough to come wholly apart from their departure zone.
I) Trias réduit tenviron 30 m), d'abord gréseux
puis dolomitique
2) Lias calcaire (Hettangien à Carixien), réduit
(30 m) et condensé à sa partie supérieure
(quelques mètres seulement entre la zone à Semicostatum
et le Carixien inférieur)
3) Lacune totale du Domerien-Toarcien et schistes aaléniens
peu épais (moins de 50 m)
4) Bajocien calcaréo-marneux, épais d'une centaine
de mètres et complet d'après les datations paléontologiques
5) « Terres noires » debutant
par des calcschistes gris du Bajocien terminal et ayant livré
des formes calloviennes au nord du refuge de l'Alpe-du-Villard'Arène.
En général cette succession repose normalement sur son soubassement cristallin avec un pendage d'environ 30° vers le NE mais qui tend à s'accentuer vers l'Ouest. Toutefois cette simplicité de structure disparaît dans les affleurements les plus méridionaux, c'est-à-dire à la partie inférieure de l'arête orientale des pics de Chamoissière. Les complications qui s'y observent ont été signalées par P. GIDON (1954). Cet auteur les interprétait comme le résultat d'une tectonique post-nummulitique de chevauchements d'Est en Ouest « écaille du Dragon », P. GIDON, 1954). Ultérieurement J. VERNET (1965) préféra y voir un anticlinal transverse à tendance chevauchante. Les caractères quelque peu étonnants des dispositifs géométriques décrits par ces auteurs nous ont incité à un réexamen de ce secteur. Au terme de celui-ci, nous pensons qu'une interprétation plus satisfaisante des faits observables peut être présentée en faisant appel au glissement synsédimentaire, au Jurassique, d'une tranche de socle cristallin.
Les données portant à une telle interprétation sont les suivantes (fig. 2):
1° Le cristallin de l'arête est de Chamoissière s'enfonce normalement sous sa couverture sédimentaire et celle-ci est recouverte à son tour, en chevauchement, par une klippe cristalline qui constitue la crête elle-même en-dessous de 2 900 m. Toutefois deux faits s'opposent à ce que ce chevauchement soit dû, conformément à l'interpretation de P. GIDON, à des mouvements d'Est en Ouest. D'une part le sédimentaire séparant les deux masses cristallines se biseaute vers l'Ouest et vers le haut (et non vers l'Est et vers le bas). D'autre part on y observe, sous le cristallin chevauchant (notamment dans les couches triasiques qui affleurent au versant nord de la crête), des crochons d'entraînement deversés vers l'Est: cette géométrie indique un déplacement relatif du cristallin supérieur vers l'Est, c'est-à-dire vers le bas dans la disposition actuelle.
2° La klippe cristalline de la basse crête orientale de Chamoissière est en réalité composite et comporte au moins deux lames superposées séparees par des couches triasiques formant la couverture de la lame inférieure. Or ces couches se biseautent vers l'Ouest entre ces deux lames, ce qui porte à penser que leur imbrication résulte également d'un mouvement d'Ouest en Est.
3° Les arguments les plus décisifs sont fournis par l'étude des contacts entre le cristallin chevauchant et les terrains sous-incombants. Ceux-ci sont particulièrement bien analysables au nord de la crête, en rive droite d'un petit ravin entaillé jusque dans les Terres noires qui recouvrent en série normale les calcaires bajociens, entre les altitudes 2 350 et 2 500 m. On y constate qu'à la base de la klippe le cristallin fait place, sur presque toute la longueur du ravin et d'une façon insensible parce que très progressive, à des grès arkosiques plus ou moins fins, par places à ciment carbonaté. Ces grès, puissants de quelques mètres en moyenne, passent à leur tour vers le bas, par dilution rapide du matériel détritique et avec des indentations métriques des deux faciès, aux schistes argileux des Terres noires. La nature sédimentaire de ce contact (que recoupe d'ailleurs une schistosité très redressée) est encore soulignée par deux faits: d'une part les grès emballent des panneaux décamétriques de dolomies triasiques (dont l'organisation en bancs reste néanmoins en général reconnaissable) et entourent complètement l'extrémité aval de la lame cristalline inférieure. D'autre part, les schistes sousjacents montrent, sur une frange de quelques mètres, plusieurs chapelets de blocs décimétriques de calcaires jurassiques (Lias ?, Bajocien ?) alignés parallèlement aux indentations du contact grès/schistes. Enfin on peut remarquer que c'est vers le bas et vers l'Est que s'ouvrent les indentations de grès où se logent les schistes.
Tous ces faits ne peuvent étre interprétés de façon satisfaisante qu'en admettant l'appartenance de la klippe cristalline à un dispositif de collapse synsédimentaire: la klippe a dû progresser sur un coussinet de fins débris (admettant accidentellement des fragments de taille plurimétrique), coussinet mis en place par progradation saccadée au cours du dépôt des Terres noires, pendant ou peu avant le déclenchement du glissement en masse du panneau cristallin.
La coupe fournie par le versant sud de l'arête est moins démonstrative car, en raison d'un abaissement par une faille E-W (faille du Rif de la Planche, J. VERNET, 1965), on ne peut y observer le repos du cristallin sur les Terres noires. Toutefois la base du cristallin y montre encore des placages arkosiques a septa ou interstratifications de sédiment calcaire ou argileux et à blocs cristallins emballés dans le sédiment.
4° On peut enfin signaler que le contact basal de la klippe se trouve ployé, vers l'altitude de 2 500 m, par une charnière moulée sur celle qui affecte les calcaires bajociens du substratum autochtone: c'est là sans doute encore un indice de l'ancienneté de la mise en place de cette klippe puisqu'elle serait donc antérieure au plissement aussi bien qu'à l'apparition de la schistosité (comme nous l'avons vu plus haut).
En définitive, l'étude des contacts de chevauchement aussi bien que les données géométriques nous amènent à conclure que la klippe cristalline de l'arete esl des Pics de Chamoissière s'est mise en place d'Ouest en Est et pendant la sédimentation de la fn du Dogger (ou du début du Malm): elle résulte donc du glissement de panneaux plurihectométriques de socle cristallin, détachés d'une zone haute située sans doute guère plus à l'Ouest. En fait l'édification du paléorelief responsable de ces éboulements postbajociens était sans doute déjà ébauchée dès le Lias moyen, si l'on en juge par l'importance des lacunes et condensations qui affectent la succession anté-aalénienne au flanc ouest de la vallée d'Arsine. On peut remarquer également que, si d'autres épisodes de mise en place d'olistolites ont été reconnus en divers points avant le Dogger, le seul autre cas décrit de tels glissements intervenus postérieurement au Bajocien est celui du Riou d'Entraix (ARTRU, 1966). dans les Alpes du Sud. On sait néanmoins que des gauchissements importants, voire des jeux de failles, se sont effectués jusqu'au Malm à la marge nord-ouest du massif du Pelvoux (J.C. BARFETY et M. GIDON, 1982).
Enfin, le dispositif des glissements synsédimentaires de Chamoissière présente une caractéristique géométrique remarquable: en effet seule la partie frontale (orientale. distale) des panneaux de cristallin s'ennoie dans le sédiment jurassique; l'extrémité opposée (occidentale, proximale par rapport a la zone d'émission) repose au contraire sur sa niche d'arrachement dans le cristallin: il ne s'agit donc pas de véritables olistolites à long cheminement du type de ceux que l'on rencontre complètement emballés dans leur « sédiment-hôte » mais plutôt ce que l'on pourrait appeler, par conséquent ,des panneaux glissés a court cheminement (bien que celui-ci soit cependant d'ordre kilométrique...).
Cette caractéristique n'est pas originale ni propre aux seuls glissements synsédimentaires de Chamoissière. On doit rappeler ici qu'elle est commune à d'autres dispositifs de localisation et d'âge divers déjà décrits par ailleurs. En effet les olistolites cristallins de la Grenonière d Ornon (J.C. BARFETY et al, 1 979) sont également interstratifés a leur seule partie frontale et.reposent sur leur niche d'arrachement à leur extrémité proximale. ll en est de même pour ceux du Vallon de Lanchâtra (J.C. BARFETY et M. GIDON, 1981), mis en place comme les précédents au Toarcien. Ceux du Sommet Gicon, au Nord du Dévoluy (M. GIDON et J.L. PAIRIS, 1976), formés de Sénonien et mis en place dans le Priabonien, ont également une disposition très semblable. Dans tous ces exemples, la partie distale du panneau glissé est nettement separée de l'autochtone d'ou ce panneau a été arraché, grâce au coin sédimentaire intercalaire qui subsiste entre eux. Par contre la cicatrice d'arrachement ne se localise plus que très difficilement dès que l'on se trouve dans le secteur où le panneau glissé y repose encore par son extremité proximale: en effet ce dernier semble alors s'« enraciner » dans sa zone émettrice (fig. 3). La relative fréquence de ces dispositifs, comparée aux cas où l'olistolite a eu un long cheminement (au moins en ce qui concerne les panneaux rocheux de taille pluri-hectométrique) semble se dégager de l'inventaire des structures de ce type connues à ce jour. Peut-être de tels panneaux glissés « enracinés par l'amont », non reconnaissables parce que l'érosion n'a pas encore atteint leur soubassement, sont-ils relativement fréquents. Ainsi pourraient s'expliquer certains cas où des forages ou des galeries ont atteint, après avoir traversé du socle cristallin, des passées de sédimentaire qui n'avaient pas été reconnues en surface « synclinaux inapparents » de L. MORET, 1951).
OUVRAGES CITÉS
ARTRU (Ph. (1966). - Les olistolithes du Riou d'Entraix et leur signification paléostructurale. Bull. Soc. géol. Fr.. (7), VIII, p. 401-404.
BARFETY J.C., GIDON M., LEMOINE M. et MOUTERDE R. (1979). - Tectonique synsédimentaire liasique dans les massifs cristallins de la zone externe des Alpes occidentales françaises: la faille du col d'Ornon. C. R Acad. Sc. Paris, t. 289, p.1207-1210.
BA RFETY J .C . et GIDON M . (1980 - 1981). - Fonctionnement synsédimentaire liasique d'accidents de socle dans la région de Venosc (massif cristallin du Pelvoux, Alpes occidentales); Bull. B.R.G.M., I, n° 1, p.11-22.
BARFETY J.C. et GIDON M. (1982). - Conséquences paléotectoniques de la découverte de l'âge jurassique supérieur d'une partie de la couverture ouest du massif du Pelvoux. C. R. Acad. Sc. Paris, t. 294, p.1013-1016.
GIDON M. et PAIRlS J.L. (1976). - Le rôle des mouvements tectoniques éocènes dans la genèse des structures de l'extrémité NE du Dévoluy et dans celle du chevauchement de Digne. Géol. Alpine, t. 52, p. 73-83.
GIDON P. (1954). - Les rapports des terrains cristallins et de leur couverture sédimentaire dans les régions orientales et méridionales du massif du Pelvoux. Trav. Lab. géol. Grenoble. t. 31, p. 1202.
MORET L. (1951). - Les synclinaux fermés et inapparents des massifs cristallins externes des Alpes occidentales. Trav. Lab.·géol. Univ. Grenoble. t. 29, p. 97-100.
VERNET J. (1965). - La zone Pelvoux-Argentera. Etude sur la
tectonique alpine du socle dans la zone des massifs cristallins
externes du Sud des Alpes occidentales. Bull. Serv. Carte géol.
Fr.. t. LX, n° 275, p. 131-424.
Figures :