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122 - GIDON M. & PAIRIS J.L. (1986). - C. R. Acad. Sc. Paris, t. 303, Série II, n° 10,1986 , p. 981

TECTONIQUE. -

La nappe de Digne (Chaînes subalpines méridionales): origine, déplacement et signification régionale.

Note de Maurice Gidon et Jean-Louis Pairis, présentée par Reynold Barbier.

Les rapports de la nappe de Digne et de son avant-pays sont caractérisés par des complexités structurales qui résultent notamment de l'obliquité de son mouvement global par rapport au tracé moyen de son front. Cette disposition découle de ce que la nappe ne représente que l'une des expressions structurales superficielles du rejeu d'une dislocation majeure profonde, héritée au moins de l'expansion téthysienne. Cet accident constituait, au Néogène, la rampe oblique du système chevauchant, à vergence S, de l'Arc de Castellane, par lequel s`exprime un déplacement global dextre des chaînes subalpines situées à l'E du front de la nappe.

 

TECTONICS. -The Digne thrust (Southern Subalpine ranges, France): its origin, motion and regional significance.

The relationships between the Digne thrust and its foreland are characterised by complex structures caused, in particular, hy the former's motion oblique to its leading edge's trend. The latter results from the fact that the thrust is onll· on· of the various structural features induced inside the cover, during Neogene times, by the new action of a major crustal lineament dating back to the tethyan rifting, if not earlier. Thus the thrust corresponds to the oblique ramp of the South-verging thrust system of the Arc de Castellane, which resulted from a Southward translation of the whole eastern part of the Southern Subalpine ranges.


La nappe de Digne est l'élément structural le plus marquant des chaînes subalpines méridionales, à l'E de la Durance. Sa localisation et son orientation ont un peu de quoi surprendre car elle chevauche un avant-pays qui est caractérisé par des plis plutôt amples, dont la direction axiale est à peu près E-W, c'est-à-dire franchement oblique à l'orientation moyenne, NNW-SSE de la limite actuelle entre nappe et autochtone.

La présence de plis subméridiens porte, de la même manière que l'orientation du front de la nappe, à envisager a priori que le charriage ait résulté de serrages ENE-WSW. De fait ces plis sont essentiellement présents dans la nappe elle-même ou à son front et surtout dans les deux zones, la bande de Veynes [I] au NW et le faisceau du Poil [2] au SE, où elle s'enracine à ses extrémités. Toutefois, en ce qui concerne la masse principale de la nappe (&laqno; lobe majeur », fig. 1), I'entaille de la demi-fenêtre de Barles permet de voir que les structures induites par le charriage n'indiquent pas une telle direction de mouvement. En effet, qu'il s'agisse des failles plates chevauchantes, des torsions des plans axiaux des plis antérieurs, des replis d'entraînement décamétriques à hectométriques où des schistosités développées au voisinage des contacts chevauchants, toutes ces structures témoignent sans ambiguïté de ce que l'essentiel du mouvement s'est fait du NNE vers le SSW, selon une direction proche de N 20.

 

LE DÉPLACEMENT DE LA MASSE PRINCIPALE DE LA NAPPE ÉTAIT DONC OBLIQUE ET NON ORTHOGONAI AUX LIMITES NNW-SSE. DU DOMAINE CHARRIÉ (fig. 1). - Ceci suppose une forte composante de coulissement dextre le long du front du charriage, ce qu'indique effectivement le décalage des lignes paléogéographiques mésozoïques, notamment celui de la limite N des faciès à affinités provençales au Crétacé inférieur. Ce décalage est particulièrement apparent aussi dans le tracé des courbes de variation des minéraux argileux du domaine vocontien récemment publiées [3]. Cette composante N-S du déplacement global peut, sur ces bases, être chiffrée à environ 20 km. Il est remarquable que cette même valeur soit précisément celle indiquée par les torsions et les décalages des plis anténéogènes dans les deux zones de dislocations subméridiennes de Veynes et du Poil, au-delà des terminaisons N et S du charriage de la nappe. Cela atteste de la continuité de l'alignement structural constitué par ces deux zones et par le front de la nappe. Cette continuité ne saurait être masquée par le changement de style qui intervient pour limiter l'extension du domaine charrié Il correspond au fait que, aussi bien dans la bande Veynes que dans le faisceau du Poil, le coulissemcnt prend le pas sur le chevauchement à la faveur de la reprise - au Néogène - de fractures dejà actives au Nummulitique (et dont le jeu paléogène est en partie responsable des décalages enregistrés à l'heure actuelle [4]). Au contraire, dans le secteur où apparaît le charriage, prédomine une fracturation N20 à N S0, héritée, au moins en partie, de la structuration liasique [5]; elle contribue à découper la ligne de faiblesse en tronçons plus orthogonaux au mouvement, le long desquels prévaut, de ce fait, le chevauchement, entre les fractures à jeu dextre. Ceci a conduit à l'individualisation de plusieurs lobes chevauchants relativement indépendants (fg. t). Ceux-ci ont eu des déplacements divergents par rapport au mouvement principal, comme l'indique le développement, sur leurs marges, de structures témoignant de serrages orientés plus E-W. Si le bord chevauchant de la plupart de ces lobes coïncide a peu près avec la limite entre le domaine du Lias épais, caractéristique de la nappe, et celui du Lias réduit, typique de l'avant-pays, il se situe par contre nettement au SW de cette limite en ce qui concerne le lobe de Valavoire: cette unité, paléogéographiquement distincte du domaine du Lias épais, est cependant restée largement solidaire de la nappe lors du déplacement de cette dernière et n'a pratiquement pas été recouverte par son charriage ([5], [6]).

La nappe elle-même semble avoir été le siège d'un cisaillement d'ensemble dextre, sans doute attribuable également aux effets de l'obliquité du déplacement par rapport à son front. Cette déformation se manifeste dans la partie septentrionale (région du dôme de Remollon) par une torsion horaire et par la tendance à l'ouverture de déchirures en pull-apart [7]. On peut envisager que ce soit là aussi l'origine des grands plis subméridiens presque parallèles à son front, dont le plus important est le synclinal de Barrême, et de diverses failles N 170 qui leur sont associées, telles celles du faisceau de Gévaudan à l'E de Barrême, dont le jeu dextre nummulitique est établi ([4], [8]).

 

EN FAIT· L APPARITION DE LA NAPPE DE DIGNE CARACTÉRISE SEULEMENT UNE PORTION D UNE LIGNI DE I AlsLEssE PLUS LONGU·, qui inclut également la bande de Veynes et le faisceau du Poil et se connecte, vers le S, à l'extrémité occidentale de la branche E-W de l'Arc de Castellane. Au sein de cette zone étroite, partout soumise à la fois à une compression et à un cisaillement dextre, la formation de plis serrés et rompus longitudinalement a prévalu là où l'armature de la série épaisse du Lias-Dogger n'existait pas. Par contre, là où elle était présente, c'est-à-dire sur le revers NE d'un paléoaccident né de la distension téthysienne [9], cette armature a réagi par un décollement en bloc, d'ailleurs consécutif à une profonde érosion [10]. Dans ce contexte, la nappe de Digne ne doit plus nous apparaître que comme l'une des diverses expressions superficielles d'un accident majeur profond, bordure SW d'une mégastructure intéressant sans doute toute la croûte, le Bloc crustal de la Durance [4]. Les déplacements le long de son front sont en réalité assimilables à ceux de la rampe oblique d'uhe structure d'ordre régional, englobant l'ensemble des chaînons subalpins orientaux, le Poinçon d'Aspres-Rouaine [4], dont le mouvement vers le SSW est à l'origine des imbrications à vergence S de l'Arc de Castellane. On constate en outre que, de part et d'autre de cet accident fondamental, les rapports entre les chaînes subalpines et les chaînons provençaux les plus septentrionaux sont inversés: si les seconds sont, à l'E, chevauchés du N vers le S dans l'Arc de Castellane, ils chevauchent par contre les premiers, vers le N, dans la montagne du Ventoux-Lure (fg. 2). Vu sous cet angle, I'accident profond sur lequel la nappe de Digne a pris naissance joue donc, au Néogène, comme une eassure transformante connectant deux zones de chevauchements à vergences opposées.

On sait [10] que l'avancée proprement dite du front de la nappe de Digne a mis en jeu des glissements épiglyptiques, favorisés par un décollement au niveau du Trias gypseux. C'est lors de ces glissements, qui ont amplifié le mouvement fondamental du bord W du Poinçon d'Aspres-Rouaine, que se sont surtout fait sentir les influences des diverses structurations antérieures par le biais d'effets morphotectoniques qui sont à l'origine de nombreuses complexités dans les rapports entre la nappe et son avant-pays ([5], [6]). Ces circonstances ont été à l'origine de déviations locales des déplacements ou des serrages, notamment par entraînement latéral en marge des lobes frontaux de la nappe, et expliquent encore un certain nombre de plis subméridiens.

 

EN DÉFINITIVE, les serrages presque E-W, générateurs de plis subméridiens qui se rencontrent dans la nappe et à ses abords, ne représentent que des effets secondaires, induits par un cisaillement global et/ou par interférence avec une structuration antérieure réactivée; ils ne sont en rien symptomatiques du déplacement global qui est resté dirigé vers le SSW dans la masse principale de la nappe durant toute sa mise en place au Néogène. La nappe de Digne elle-même doit être considérée comme l'une des variantes de l'expression, au niveau de la couverture, du rejeu d'un accident majeur profond, sensiblement NW-SE, hérité au moins de la distension téthysienne. Ce sont donc, d'une part l'obliquité des mouvements néogènes sur cet accident, et d'autre part la répartition

irrégulière des ensembles sédimentaires jurassiques consécutive à son fonctionnement initial qui sont fondamentalement à l'origine de la nappe de Digne.

 

Reçue le 7 juillet 1986.

 

 

RÉFÉRFNCES BIBLIOGRAP·IQUES

 

[1] M. GIDON et J. L PAIRIS, Comptes rendus 268, série D, 1969, p. 1570-1573.

[2] M. GIDON et J. L PAIRIS, Comptes rendus 272, série D, 1971, p. 2412-2415.

[3] s. FERRY, L. PASTOURET, J. L. DE BEAULIEU et P. MANDIER, Comptes rendus 300, série 1l, 1985., p.573-578.

[4] J L. PAIRIS, M. GIDON, P. FABRE et A. LAMI, Comptes rendus 303, série H, 1986, p 87-92.

[5] H. ARNAUD, M. GIDON et J. L PAIRIS, Géol. alpine 53, 1977, p. 5-34.

[6] M. GIDON et J L PAIRIS, Bull. B.R.G.M. (sous presse).

[7] M. GIDON, Géol. alpine 61, 1985, p. 75-84.

[8] J. L PAIRIS, G. GIANNERINI et D. NURY, Mém. B.R.G.M. 125, 1984, p. 453-456.

[9] M. GIDON, Géol. alpine 58, 1982, p. 53-68.

[10] P. GIGOT, C GRANDiACQUET et D. HACCARD, Bull. Soc. géol. Fr. 7, n' 16, 1974, p. 128-139.

 

Uniuersité scientifique et médicale de Grenoble

Institut Dolomieu 15 rue M.-Gignoux 38031 Grenohle Cedex

U.A. C.N.R.S. n 6 9, Géologie alpine puhlication n 783

 

 

 

Fig. 1. - Carte schématique du cadre régional de la nappe de Digne. 1· affleurements du Jurassique inférieur et moyen, épais et hémipélagique, caractéristique de la nappe de Digne. 2, bord d'érosion de la nappe. 3, zones d'écrasement par plissement el cisaillement dextre relayant le charriage. 4. fronts de chevauchement et coulissements majeurs créés par l'avancée de la nappe. 5, domaine à affinités provençales. 6, chevauchements majeurs entre les domaines provençal et subalpin. R, dôme de Remollon. B· demi-·fenêtre de Barles.

 

Fig. 1. - Scheniatical map of the regional setting of the Digne thrust. 1 outcrops of thick and hemipelagical Lower and Middle Jurassic. characterizing the Digne nappe. 2, erosion edge of the thrust. 3, crushing zones with tigh Jolding and right-lateral shear prolongating the thrust s edge. 4, leading edges and major transcurrent Jàults resulting from the nappe's motion. 5 Provencal realm. 6 major thrusts between the Provence and the Subalpine realrns. R, Remollon dome. B, Barles half-window.

 

Fig. 2. - Bloc-diagramme schématique, montrant Ies relations entre chaînons subalpins et provençaux.

 

Fig. 2. - Schematical block-diagram showing the relationships between the Subalpine and Provence ranges.