texte publié dans le numéro 122 (juin 2012) de la revue "Géochronique"
D’origine savoyarde, Jean-Claude Barféty acquiert une maîtrise de géologie à l’université de Grenoble, puis est admis à l’École nationale supérieure du Pétrole et des Moteurs (ENSPM) à Rueil-Malmaison. Il avait cependant attiré l’attention de ses maîtres grenoblois qui lui firent soutenir une thèse de 3e cycle sur la haute vallée de la Guisane entre le Lautaret et Briançon (Hautes Alpes), thèse soutenue le 28 juin 1965.
En 1966, il entre comme ingénieur cartographe au Service de la Carte géologique de la France, puis, en 1968, il rejoint le BRGM et y restera jusqu’à sa retraite en 2004, avec l’avantage, pour un géologue alpin, d’être en poste à Grenoble, hébergé par le laboratoire de Géologie de l’université.
Son rôle était de coordonner le travail de lever et de dessin des feuilles alpines au 50 000e en complément des travaux effectués par les géologues universitaires locaux. Il participa donc à la mise au point d’une vingtaine de ces cartes, entre Chamonix et Briançon.
Les quinze années de cartographie alpine pendant lesquelles il parcourut les Alpes lui permirent de recueillir une masse de données qu’il aurait été dommage de perdre. Aussi lui proposa-t-on d’en tirer une thèse d’État. Le sujet retenu fut le Jurassique dauphinois entre Durance et Rhône (étude stratigraphique et géodynamique), un terrain insuffisamment connu en raison de la mauvaise qualité des affleurements, ainsi que de la rareté des fossiles, mais où ses levers de cartes lui avaient apporté de nombreuses observations restées inédites.
La thèse fut soutenue à Grenoble le 28 juin 1985, vingt ans, jour pour jour, après la soutenance de sa thèse de 3e cycle. Elle reprend et développe des découvertes n’ayant souvent fait l’objet que de publications préliminaires. L’une d’entre elles mérite d’être signalée en raison de ses conséquences sur la dynamique ancienne de la chaîne, celle de la « faille d’Ornon », qu'il mit en évidence entre Bourg d’Oisans et la Mure, avec un millier de mètres de rejet vertical et un tracé long de plusieurs dizaines de kilomètres. Il l’interpréta avec raison comme une paléo-faille apparue au Jurassique inférieur avec son cortège d’écroulements de falaises sous-marines. C’était la première fois que l'on décrivait dans les Alpes occidentales françaises un accident d’une pareille ampleur, possédant ces caractères de faille-limite d’un « bloc basculé ». Elle est maintenant devenue célèbre, au point d’être citée en exemple dans l’enseignement secondaire, et a été souvent été visitée (y compris par la Société géologique de France en 1984).
Sa connaissance du massif des Écrins et du Briançonnais lui permit aussi de participer à la rédaction des guides géologiques correspondant (Écrins en 1989 et 2002, Briançonnais en 1994, tous édités par le BRGM), en collaboration avec d’autres auteurs. Sa connaissance de l’ensemble alpin lui valut enfin d’être chargé de son dessin pour la 6e édition de la carte géologique de France au 1 000 000e (1996).
Il faut ajouter que sa position de « permanent » du BRGM à Grenoble entraînait son intervention dans tous les problèmes liés aux risques naturels (éboulements, glissements de terrain) et de protection civile (notamment en Savoie), problèmes nécessitant un accès des lieux immédiat pour prendre les décisions adéquates. Il fut également chargé, toujours par le BRGM, d’une longue mission de cartographie géologique en Mozambique.
Reste à évoquer l’homme.
C’est sur le terrain qu’il se révélait, non seulement comme montagnard averti, mais aussi par son enthousiasme, sa conscience professionnelle qui lui faisait un devoir d’aller partout et de ne négliger aucun affleurement, quelles qu’en soient les difficultés d’approche, le tout complété par un sens aigu de l’observation et un redoutable esprit critique.
Agréable et infatigable compagnon de course, d’abord réservé, il se révélait ensuite par son humour, la malice de ses réparties et son inaltérable bonne humeur pimentée de réactions ironiquement bourrues.
Ces qualités se sont révélées avec force dans le calvaire de ses dernières années. Dès sa retraite, il était frappé d’un cancer contre lequel il lutta avec une ténacité et un moral exemplaires. Peu après, sa vie se compliqua encore à la suite d’un décollement de la rétine mal soigné qui lui altéra profondément la vue. Il n’en gardait pas moins un contact étroit avec ses collègues et amis.
Il nous laisse le souvenir d’un homme d’une rigoureuse droiture, d’un géologue alpin de grande classe et celui d’un ami dont nous n’oublierons pas le courage et la dignité dont il fit preuve au cours de ces années d’épreuve.
Nous ne pouvons pas ne pas évoquer, en terminant, l’appui qu’il a toujours reçu de son épouse, Michèle. Celle-ci a participé activement à la passion du terrain qui animait son mari et qu’elle comprenait bien, étant elle-même enseignante en Sciences de la Vie et de la Terre.
Elle a su ensuite l’accompagner et l’aider de façon admirable dans les douloureuses années de sa fin de vie. Il est plus que juste qu’elle soit associée à cet hommage.
Jacques Debelmas et Maurice Gidon
Hommage complémentaire, plus personnel, par Maurice GIDON :
J'ai fait la connaissance de Jean-Claude Barféty en 1963, lorsqu'il fut nommé dans le poste de géologue cartographe que j'occupais précédemment.
D'abord rapprochés par cette circonstance nous nous sommes très vite sentis des affinités de goûts et de centres d'intérêt, puis nous avons appris à mieux nous connaître en réalisant des sorties communes en montagne, souvent d'ailleurs sans les habiller de prétextes géologiques.
Ce compagnonnage, qui ne fit que se renforcer au cours des ans, a abouti à ce que je pense avoir été une véritable amitié, sans doute la plus franche que j'aie connue. En effet elle était faite de points de vue partagés sur maints sujets de société ou de vie et elle se nourrissait d'échanges d'une franchise et d'une simplicité totale, débarrassés à tous égards du souci des précautions oratoires.
Nos tempéraments et nos aptitudes physiques étaient différents, mais je crois que nous avions su les rendre complémentaires, ce qui nous a permis une collaboration scientifique que nous avons appréciée. La rigueur qu'il apportait à la fine exploration du terrain pour le lever des cartes trouvait un complément dans la curiosité qui animait mes recherches comparatives sur les thèmes structuraux de l'architecture de l'Arc alpin : aussi étions-nous en communion dans le projet de mieux connaître les divers secteurs de nos Alpes françaises.
C'est ainsi que j'ai eu le plaisir, chaque année pendant plusieurs décennies, de parcourir en sa compagnie les secteurs dont il était en train de fignoler les levés, puis de collaborer avec lui à la publication des notes faisant connaître les résultats de la confrontation et de la synthèse de nos vues. Je confesse même avoir été parfois l'instigateur de la rédaction de ces articles, car sa modestie l'aurait souvent conduit à considérer qu'il avait accompli sa tâche en utilisant simplement ses observations pour la réalisation de la carte géologique dont il était chargé.
Ses terribles ennuis de santé, qui se sont malheureusement manifestés alors même qu'il venait de prendre sa retraite officielle, me sont donc apparus à la fois comme une grande injustice pour lui, qui souhaitait prolonger son activité en la diversifiant, et comme une grande frustration pour moi, qui vis alors nos rapports s'espacer en raison des dures contraintes de ses traitements.
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Grâce à Mme Pascale Talour, bibliothécaire-documentaliste (qui occupait le bureau vosin du sien à l'Institut Dolomieu), on peut maintenant accéder à une version numérisée de sa thèse d'état à l'adresse ci-après :
http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00749741.
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On trouvera ci-après, un certain nombre de clichés, pris au fil des ans, qui le montrent dans diverses attitudes familières au cours de quelques unes de nos sorties montagnardes : je souhaite qu'ils nous aident à conserver vivace sa mémoire :
Le 29.07.1967, au col du Monêtier (massif des Écrins)
Le 29.07.1967, au sommet des Agneaux (massif des Écrins)
Le 25.07.1968, au sommet de des Cerces (Briançonnais septentrional)
Le 25.07.1968, au sommet de des Cerces (Briançonnais septentrional)
Le 21.08.1968, au sommet de Coste Rousse, scrutant le massif de Montbrison (Briançonnais méridional).
Le 30.09.1977, à la Pointe de La Coche de Lanchâtra (Oisans)
Le 21.08.1979, entre lac de la Muzelle et le col du Vallon (massif de la Muzelle, Oisans).
Le 21.08.1979, sur les mégabrèches du col du Vallon (massif de la Muzelle, Oisans).
Le 14.09.1982, au sommet du Grand Renaud.
Le 31.07.1986, en montant à la Grande Lance de Domène.
Le 21.08.1986, en montant à La Grande Ruine (massif des Écrins).
Le 11.09.1986, au sommet du Mont Gioberney (massif des Écrins).
Le 29.05.1990 au col de Basmont (montée en direction du Mont Bellachat).
Le 04.03.1992 au sommet de la Roche Parstire (Beaufortain).
Le 05.08.1992 au sommet du Grand Galibier.
Le 06.08.1992 au sommet des Aiguilles de la Saussaz.