La tectonique alpine des massifs de Belledonne, des Sept Laux et d'Allevard |
La déformation subie par le massif de Belledonne lors de la formation de la chaîne alpine se déduit de la géométrie actuelle de la surface de séparation entre socle cristallin et terrains sédimentaires (ancienne surface de la pénéplaine anté-triasique). On voit bien, en particulier dans la partie sud du massif où le socle s'enfonce sous sa couverture (environs de Vizille), qu'elle consiste fondamentalement en une vaste et ample demi-voûte anticlinale, qui n'est pas limitée du côté ouest par un chevauchement, mais par des failles subverticales.
L'observation de l'ancienne pénéplaine anté-triasique n'est par contre guère possible sur le versant oriental de la chaîne car elle a été très fortement affaissée au Jurassique par la faille de Belledonne orientale, laquelle constitue encore actuellement le seul accident post-hercynien analysable sur ce versant (voir notamment la page "Grand-Maison").
Deux aspects sont à considérer concernant cette interface socle / couverture : A) sa géométrie (ci-après) ; B) la répercution éventuelle des accidents qui l'affectent sur la structure tectonique de la couverture sédimentaire mésozoïque (plus loin dans la page).
1/ Au nord-ouest du col de Merdaret la surface du socle, largement garnie de "grès
d'Allevard" d'âge stéphano-permien, décrit
un vaste bombement anticlinal, la demi-voûte du Grand Rocher.
Le pendage y passe en effet, d'est en ouest, de l'horizontale
à des valeurs supérieures à 45° W vers le bas des pentes là où elle s'enfonce sous la couverture sédimentaire mésozoïque. Cette disposition se poursuit au nord d'Allevard, où le Trias coiffant le sommet de cette demi-voûte est conservé au Collet d'Allevard.
Le flanc ouest de l'anticlinal du Grand Rocher est accidenté
d'escaliers qui accentuent la pente moyenne, vers l'ouest, de l'interface
socle - couverture. Les failles qui limitent ces escaliers ont
de forts pendages et ne sont connectés à aucune
structure de chevauchement dans la couverture triasico-liasique.
Au sud du décrochement de Merdaret la plus importante
de ces cassures est l'accident de Prabert, qui remonte,
dans la vallée du Muret, des micaschistes au contact du
Lias qui affleure plus à l'ouest : il est grossièrement
subvertical. Cette faille, difficile à analyser car on
ne la voit guère affleurer, semble être une ancienne
faille normale qui aurait été basculée par
le bombement anticlinal.
La couverture décrit des plis, décollés au niveau du Trias gypsifère, dont le plan axial pend environ à 45° est. Le coeur de ces plis est formé par des gypses et des cargneules mais les Grès d'Allevard sous-jacents ne s'y engagent pas, ce qui témoigne s'un certain décollement de la couverture proprement dite par rapport au "tégument" permo-triasique et au socle auquel ce dernier est étroitement attaché.
L'accident médian de Belledonne limite du côté oriental l'ancien bloc basculé du Rameau externe de Belledonne (caractérisé par son socle de micaschistes), par rapport au rameau interne, originellement effondré. Cet accident linéamentaire majeur a eu un jeu extensif jurassique et a en outre recoupé (et apparemment étiré par coulissement dextre) le fossé hercynien à contenu de houiller du Collet d'Allevard.
On le suit bien, du nord
vers le sud, avec une direction N30 à N40, depuis le Beaufortain jusqu'au col de Merdaret, point où il
subit un décalage transversal dextre par l'extrémité SW de l'accident N60 de Fond
de France (c'est-à-dire à peu près selon l'orientation des décrochements
dextres de la Chartreuse orientale). Le bombement anticlinal du Grand Rocher, que dessine de façon bien visible le rameau externe au nord de cet accident, subit le même décalage
2 / Au sud-est du col de Merdaret la vôute du socle cristallin du rameau externe s'abaisse progressivement
et n'affleure bientôt plus, masquée sous la couverture sédimentaire mésozoïque, au sud du vallon du Muret (. couverture sédimentaire du rameau externe
ne laisse presque plus voir son socle propre (qui n'affleure plus,
jusqu'à la haute Combe de Lancey, que selon une bande discontinue
très étroite).
Entre le col de Merdaret au nord et la Combe de Lancey au sud, le socle du rameau interne
est surélevé par rapport
à cette bordure sédimentaire (voir la page "Saint-Mury"). Cette dénivellation se fait par le jeu
de plusieurs cassures que l'on peut considérer
comme des failles secondaires entre lesquelles se partage l'accident médian. La principale et la plus orientale
est la faille du Pré de l'Arc et la plus occidentale est la faille de la Boutière et entre les deux s'intercale le "compartiment de
La Boutière", quie est une bande de matériel houiller large d'environ 1 km.
- a) La faille du Pré de l'Arc est orientée N50 (sensiblement comme l'accident médian en rive droite du Bréda, au nord-est du col de Merdaret). Son pendage (très rarement observable) semble très redressé voire subvertical, notamment si l'on en juge par le tracé cartographique de la cassure, qui ne décrit presque pas de V topographiques au franchissement des vallons. Sa lèvre orientale est garnie par un placage de grès permiens, en position le plus souvent renversée (ils pendent vers l'est sous le socle cristallin qu'ils devraient recouvrir). À cela s'ajoute le fait que, dans le chaînon de la Jasse et à l'ouest de celui du Ferrouillet, la structure du socle cristallin de la marge occidentale du rameau médian est apparemment anticlinale (voir la page "Prapoutel"). Ces deux données convergent pour faire considérer que le rameau interne de Belledonne est affecté, comme le rameau externe, par une vaste voussure anticlinale, dont la retombée occidentale bute contre l'accident médian.
C'est là une géométrie bien différente de celle d'une imbrication de lames détachées par des failles inverses, que certains se sont plu à imaginer. Par ailleurs, bien que le renversement des couches permiennes évoque un crochon de chevauchement, on ne saurait cependant l'expliquer par un pli-faille. En effet, outre que son pendage semble excessivement fort pour un chevauchement, le compartiment oriental de la cassure devrait alors s'avancer en chevauchement sur des terrains plus récents. Or, bien au contraire, le houiller de la lèvre occidentale de la faille du Pré de l'Arc est, à de nombreux endroits, en position surélevée par rapport au Permien de sa lèvre orientale.
En définitive, si l'on prend en compte tous les éléments connus sur cette structure, on constate que l'attitude et le rejet des cassures rapportées à l'accident médian ne peuvent s'expliquer que par une histoire complexe comportant l'intervention de plusieurs jeux successifs très différents :
- 1 - jeu extensif au Houiller, avec soulèvement de la lèvre orientale de la faille du Pré de l'Arc, en marge est d'un graben dont les bords voient leur socle, dénudé du fait de sa surélévation, recevoir le dépôt direct des grès permiens (absence du houiller) ;
- 2 - jeu extensif (sans doute au Jurassique) avec abaissement de sa lèvre orientale, dont le Permien est alors affaissé en contrebas du Houiller du contenu de l'ancien fossé d'effondrement (ce dernier devient alors le horst de La Boutière) ;
- 3 - jeu compressif au Miocène, associé à la formation de la voussure anticlinale des blocs de socle de la chaîne de Belledonne : ce jeu, suffisant pour rebrousser le bord ouest du rameau interne, n'a toutefois pas eu une ampleur suffisante pour rattraper le jeu extensif précédent. Son rôle dans la structuration est donc plus annexe que fondamental.
- b) Le compartiment de La Boutière est une bande de terrain caractérisée par son soubassement de Houiller. Il forme une marche d'escalier intercalaire entre les affleurements de cristallin du rameau interne et le rameau externe masqué sous sa couverture, mais il se rattache plutôt au rameau externe par la présence sporadique de micaschistes et de spilites (en effet ces terrains ne se rencontrent ordinairement pas dans le rameau interne). Sa couverture a été le siège d'un écrasement tectonique assez accentué (voir le paragraphe "écailles du Clos", en fin de page), ce qui est sans doute lié à la particulière déformabilité des schistes pélitiques houillers qui en constituent le soubassement.
La cartographie semble bien montrer que le compartiment de la Boutière prolonge vers le nord la bande houillère qui est incluse dans le rameau externe au sud de Vaulnaveys (et qui se prolonge vraisemblablement plus au sud, en passant par Fau Laurent, par le "bassin" houiller de La Mure). Vers le nord il s'effile contre le décrochement dextre de Merdaret et pourrait donc bien représenter le prolongement méridional, sectionné en biseau par ce décrochement, du fossé houiller du Grand Collet, qui court également au sein du rameau externe, à l'est et au nord de la vallée du Bréda, (voir plus haut).
3 / Au sud de la Combe de Lancey le véritable accident médian (c'est-à-dire le contact entre rameau externe et rameau interne) retrouve un tracé simple se résumant à une faille unique, mais son orientation s'infléchit pour y devenir N25° aux abords de Chamrousse puis presque N-S à partir du Luitel jusqu'au sud de Séchilienne (et au-delà, en Matheysine). Cette torsion correspond simplement à l'inflexion azimutale de l'arc alpin, qui affecte d'ailleurs aussi, sensiblement sur la transversale de Grenoble, la faille du revers est de Belledonne et les axes de plis de la couverture au niveau de la Matheysine.
Malgré la pauvreté des affleurements tout indique que la faille du Pré de l'Arc se prolonge par contre de façon rectiligne vers le sud-est, en direction de Vizille, c'est-à-dire en biais par rapport à l'accident médian, avec lequel elle ne se confond plus. Elle se partage alors, dans le secteur de Vaulnaveys, en plusieurs branches peu divergentes, toutes de direction N40° à N45°, pour donner le faisceau des failles de Vizille. Or ces dernières cassures sont indubitablement des décrochements dextres, car elles décalent dans ce sens les plis de la couverture sédimentaire.
Les failles de Brié et de Cornage déterminent au travers des collines bordières méridionales la zone déprimée des Combes de Champ, qu'emprunte approximativement la gorge de la Romanche entre Vizille et Jarrie. Elles ne se poursuivent guère au delà du crêt tithonique de la bordure orientale du Vercors. La faille orientale de Vizille semble se poursuivre par contre plus longuement vers le sud-ouest, jusqu'en Vercors où elle se prolongerait, au sud du Mont Aiguille, par la faille de La Queyrie.
On a longtemps considéré que la faille du Pré de l'Arc n'était qu'un élément de l'accident médian de Belledonne, parce qu'elle constitue, entre le col de Merdaret et la Combe de Lancey, la limite entre rameau interne et rameau externe. Mais on voit qu'il s'agit en fait d'un décrochement dextre qui a réactivé l'accident médian au nord de Lancey et de sa portion tordue par l'inflexion grenobloise de l'arc alpin. Peut-être le jeu de cette faille prolonge-t-il vers le sud le mouvement décrochant qui se manifeste plus au nord (notamment au Collet d'Allevard) le long de l'accident médian septentrional, mouvement qui ne pouvait plus s'engager dans l'accident médian au sud de Lancey, du fait de l'orientation devenue inadéquate de ce dernier.
On ne peut manquer de faire une comparaison entre le système fracturé Pré de l'Arc - failles de Vizille, qui marque la limite occidentale du bloc cristallin qui est porté en relief par rapport à sa bordure sédimentaire et la "faille de Belledonne" active mise en évidence par les sismologues à peu près selon le tracé de cette limite. En effet le sens de rejet et l'orientation de ces deux groupes de cassures sont analogues et l'on peut donc se demander si la séismicité actuelle ne traduit pas la poursuite du jeu du faisceau de failles de Vizille - Pré de l'Arc.
Quoi qu'il en soit, ni les failles mises en évidence par la cartographie géologique, ni celles découlant des mesures sismiques ne mettent en évidence une tectonique de chevauchement imbriqués vers l'ouest, contrairement à ce que voudrait la théorie de l'allochtonie des massifs cristallins externes.
1 - La tectonique des collines bordières est indépendante de celle du socle et n'en est pas tributaire. Rien, en effet, n'indique que les plis et chevauchements de la couverture soient induits par des accidents plus profonds du socle. Le jeu des failles de socle reconnues à l'affleurement est au contraire soit extensif, jurassique, soit postérieur à la structuration des collines bordières, et, en ce cas le plus souvent décrochant. C'est ce que souligne l'obliquité des failles de socle par rapport aux plis et chevauchements de la couverture, qu'elles recoupent à tour de rôle en biseau du nord vers le sud.
Les seuls accidents chevauchants qui se manifestent au niveau
de l'interface cristallin - couverture sont ceux, très
locaux, désignés du nom d'"écailles
du Clos". Situées en bordure ouest de la faille
du Pré de l'Arc, à la crête du bloc du rameau
externe de Belledonne (plus précisément du compartiment
de la Boutière), au SE du col de PréLong, il s'agit
de lames de micaschistes de Houiller et de spilites, faiblement
pentées vers l'est, qui s'imbriquent avec le Lias de la
couverture du Houiller du compartiment de la Boutière.
Mais ces lames ne peuvent pas se raccorder avec la surface de
cassure de la faille du Pré de l'Arc, car le pendage de
cette dernière est beaucoup plus fort (elle semble plutôt
les trancher du côté où elles devraient s'enraciner)
: elles ne sauraient donc résulter d'un chevauchement du
rameau interne par l'intermédiaire de cette cassure.
En fait ces lames tectoniques représentent vraisemblablement
le résultat d'un écrêtage du sommet du bloc
du rameau externe de Belledonne, par le mouvement cisaillant qui
a affecté la couverture et notamment celle expulsée par le serrage de l'hémigraben
de l'accident médian (et ce, sans doute, avant que ce dernier
accident soit recoupé par la faille du Pré de l'Arc).
Elles s'inscriraient ainsi très bien dans le schéma
général proposé par l'auteur de ce site
pour les rapports tectoniques entre déformation de la couverture
et du socle cristallin.
Enfin la surrection de Belledonne, à l'occasion de laquelle l'interface cristallin - couverture a du acquérir son actuel bombement anticlinal, est également indépendante et tardive par rapport à la structuration des collines bordières. Quel que soit le moteur et le processus de cette surrection elle ne semble être à l'origine d'aucune des structures observées dans sa couverture sédimentaire.
2 - En définitive les traits majeurs
de l'évolution tectonique alpine de l'extrémité
sud du massif cristallin externe de Belledonne peuvent se résumer
dans la succession
(1) d'imbrications puis de plissements de la
couverture, cisaillée vers l'ouest par rapport au socle
non déformé par ces accidents ;
(2) d'un bombement tardif du socle,
sans doute dans un contexte de coulissements
dextres longitudinaux à la chaîne
de Belledonne, notamment aux abords de l'accident médian.
Aucun des accidents observés ne paraît pouvoir être lié à un éventuel chevauchement profond de cette chaîne (cette conclusion va à l'encontre d'une opinion qui s'est actuellement répandue pour des raisons d'a priori théoriques). Rien dans les faits observables en surface du sol ne porte à penser que le soulèvement de Belledonne puisse résulter d'une déformation par failles inverses.