par Jean-Claude BARFÉTY * et Maurice GIDON **
* B.R.G.M., 18, rue Général Champon, 38100 Grenoble.
** Institut Dolomieu, rue Maurice Gignoux, 38031 GRENOBLE Cedex.
Laboratoire de Géologie alpine associé au C.N.R.S.,
Institut Dolomieu, 38031 Grenoble.
RÉSUMÉ. - L'étude stratigraphique de la couverture mésozoïque à la marge nord et ouest du massif cristallin du Rochail-Lauvitel, entre Bourg-d'Oisans et Valsenestre, a permis de mettre en évidence: 1: l'âge valanginien probable des formations terminales du Grand Renaud; 2: la large extension et la variabilité de l'épaisseur des faciès « Terres Noires » au Malm inférieur; 3: l'existence de deux formations calcaires particulières, caractérisées par des faciès noduleux et/ou encrinitiques, dont l'une (« calcaires du Paletas ») passe latéralement aux Terres Noires, tandis que l'autre (« calcaires du Petit Renaud ») constitue un équivalent latéral de tout ou partie des assises du Carixien au Bajocien; 4: la présence de lacunes et de discordances parfois importantes, qui témoignent d'une activité tectonique par basculements et jeu de failles.
La part importante due à l'héritage des déformations synsédimentaires jurassiques dans la structure actuelle est mise en évidence. Il se confirme ainsi que les structures majeures du « synclinal de Bourg-d'Oisans » sont liées à son individualisation, en tant que demi-graben, dès le Lias moyen. La déformation supplémentaire introduite par les serrages alpins, responsables notamment de plusieurs chevauchements de socle et de multiples plis hectométriques, apparaît dès lors comme relativement mineure.
ABSTRACT. - Stratigraphy and structure of the sedimentary cover of the external crystalline massifs of the french Alps, south of Bourg d'Oisans in their relations with Jurassic synsedimentary tectonics. A stratigraphical study of the Sedimentary cover at the Northern and Western margins of the Rochail Lauvitel Massif, between Bourg-d'Oisans and Valsenestre, shows: 1: the probable Valanginian age of the uppermost formation in the Grand Renaud mountain; 2: the broad extension and variable thickness of the Terres Noires of the lower Malm; 3: the local development of two pecular formations, consisting of nodulous and encrinitic limestones, which correspond lateraly to the Terres Noires shales (Calcaires du Paletas) and to part to the whole of the Carixian-Bajocian marly beds (Calcaires du Petit-Renaud); 4: the occurence of stratigraphic gaps and unconformities due to synsedimentary tilting and faulting.
The importance of Jurassic tectonics in the present structure is emphasized: it is even clear that the main features of the Bourg-d'Oisans syncline can be traced to its formation as an "half-graben" as early as middle Lias. The supplementary deformation brought out by the Alpine tightening (some basement thrusts and numerous folds) is somewhat of minor extend.
Entre Bourg-d'Oisans et Valsenestre le massif cristallin du Taillefer, prolongement méridional de Belledonne (fig. 1), est séparé de celui du Rochail-Lauvitel, prolongement des Grandes Rousses, par la dépression structurale de Bourg-d'Oisans. Le remplissage sédimentaire de cette dernière, énergiquement plissé, est essentiellement constitué par du Lias dauphinois; l'érosion y a également respecté localement du Malm et même du Néocomien au Grand Renaud (REBOUL, 1962).
Or cette structure synclinale n'est pas seulement due au plissement alpin car elle correspondait à une zone déprimée dès le Jurassique; en effet, sa limite ouest est constituée par une importante paléo-faille liasique (BARFÉTY et al. 1969) et sa bordure est par une zone de soulèvement du socle sur laquelle sont venus transgresser les couches du Malm ( BARFÉTY et GIDON, 1982): on peut donc la considérer (LEMOINE et al., 1981) comme un demi-graben jurassique ultérieurement redéformé par serrage.
Il était intéressant d'évaluer les parts respectives de la structuration due à la tectonique compressive (relativement tardive) et de l'organisation synsédimentaire (précoce) dans l'édification de la structure actuelle de ce secteur: c'est l'objectif de notre étude, essentiellement axée sur l'analyse des rapports géométriques et stratigraphiques des formations et appuyée sur une révision systématique des levers géologiques (feuilles VIZILLE, 1972; LA MURE, en préparation).
Dans la couverture sédimentaire de la bordure ouest du massif cristallin du Rochail-Lauvitel (c'est-à-dire grossièrement dans la moitié orientale du « synclinal de Bourg-d'Oisans », au Sud de cette localité), le pendage moyen des couches est dirigé vers l'ouest. De nombreux accidents tectoniques viennent toutefois perturber cette disposition (fig. 2). Nous en donnerons un aperçu rapide en nous limitant aux seuls aspects qui sont nécessaires pour notre propos ou sur lesquels nos recherches apportent un éclairage nouveau.
Les cassures du socle cristallin peuvent être rangées sous deux rubriques:
Elles sont essentiellement représentées par le faisceau des failles du Lac du Vallon, dont la direction moyenne est N 160. Cartographiquement (fig. 2 et 3), le tracé de ces factures délimite des panneaux losangiques de longueur kilométrique. Ce caractère s'accorde bien avec le jeu coulissant qu'on leur a attribué (VERNET, 1961; GRATIER, 1973).
Si les panneaux juxtaposés qui se relayent longitudinalement sont tantôt soulevés, tantôt abaissés, le rejet vertical global est un abaissement d'ordre hectométrique du compartiment oriental (fig. 4 B).
Les surfaces de cassure, très redressées en profondeur, se rabattent vers l'Ouest dans les parties hautes en pénétrant dans la couverture sédimentaire, ce qui tendrait à indiquer qu'elles étaient antérieures aux déformations de celle-ci (ceci est particulièrement net sur l'arête ouest du Pic du col d'Ornon, et entre les points 2645 et 2729 de la crête nord du Neyrarel).
Un autre indice plaidant en ce sens est l'écrasement,
par reploiement, de la couverture contre la surface de faille
dans le compartiment abaissé, ce qui contraste avec l'absence
quasi totale des plis dans le compartiment ouest (soulevé),
en bordure de la faille (fig. 4).
Vers le Sud, ces failles ne peuvent pas être suivies avec
certitude au-delà du haut vallon de Confolens où,
après le passage d'une zone masquée par le Quaternaire,
elles n'affectent plus que le cristallin. Vers le Nord, leur prolongement
dans les couches liasiques peut être suivi jusque dans le
versant sud de la crête du Petit Renaud. Plus au Nord encore,
on le perd, du fait des mauvaises conditions d'affleurement, jusqu'au
sommet des Pâles; mais au-delà, ces failles ne semblent
pas se poursuivre car le Lias calcaire de la Tête des Filons
montre seulement des couches régulièrement plissées.
Par conséquent les failles de socle du lac du Vallon subissent
très probablement un amortissement vers le haut dans les
assises liasiques.
Une autre faille subverticale, d'orientation peu différente (N 120), affecte la limite cristallin/sédimentaire au SE du lac Labarre, en rive gauche du ravin de Pisserousse (haut vallon de Valsenestre). Là aussi le rejet est un abaissement du compartiment oriental et on observe localement une déformation, ici par basculement vers l'Est, de la surface de la fracture.
Une dernière faille subverticale s'observe dans le versant est du Pic du col d'Ornon (en contrebas du lieu-dit Jassirette, fig. 3). Là l'orientation est sensiblement E-W et c'est le compartiment sud qui est abaissé d'une centaine de mètres; étant donné que cette faille n'introduit aucun décalage observable dans les niveaux autres que le Trias et la partie inférieure du Lias, il est vraisemblable qu'il s'agit d'un accident synsédimentaire liasique.
Les failles inverses affectant la surface de contact du sédimentaire sur le cristallin peuvent être réparties en trois groupes:
1 ) Les chevauchements de Côte Belle (DESTHIEUX et VERNET, 1968) ("CCB", fig. 2); il s agit de deux cassures parallèles dont le plan de faille, penté de 45° vers le Sud, recoupe l'interface cristallin/sédimentaire au Sud de Villard-Notre-dame. La faille inférieure, qui passe sous le Péron, n'est pas prolongée par un accident bien défini dans la couverture liasique, où des petites failles inverses à pendage sud sont seulement observables (GRATIER, 1973, p. 61). La faille supérieure, que nous appellerons « chevauchement de Pierre Grosse » ("CPG", fig. 3), semble avoir échappé aux auteurs précédents; pourtant elle se poursuit jusque dans le Lias (fig. 7) par une surface de rupture qui se suit subhorizontalement dans les ravins du versant est de l'arête nord du Grand-Renaud. Sous cette faille le Lias est ployé en un vaste crochon synclinal d'axe N 20 ouvert vers l'Ouest. Dans son compartiment supérieur le Trias et la surface du cristallin décrivent une demi-voûte également d'axe N-S: il apparaît donc qu'en dépit de l'inclinaison vers le S, du plan de faille, le mouvement de chevauchement est orienté vers l'Ouest. Le rejet, mesuré selon cette direction, est de 300 m au niveau de la surface du cristallin mais semble pouvoir dépasser cette valeur, par le jeu du glissement des couches du compartiment supérieur, au sein du Lias.
2) Les chevauchements du Rochail (VERNET, 1961). Dans le versant NE du col du Rochail une faille inverse provoque un décalage kilométrique du tracé cartographique de la limite cristallin/ couverture. La surface de cassure de ce « chevauchement du Rochail » (C.R., fig. 2 et 3) plonge vers le S. Les plis induits par son amortissement dans la couverture, dans le versant Est du Pic du col d'Ornon, ont des axes orientés ENE-WSW, ce qui traduit un chevauchement vers le Nord (fig. 9). Vers l'Est, aucun lambeau pincé de sédimentaire ne permet de jalonner de tracé de cette faille au sein du cristallin du Rochail. Vers l'Ouest, son tracé au niveau du socle est masqué sous le sédimentaire, et le cristallin ne revient au jour qu'à la faveur des failles du lac du Vallon. Dans le compartiment soulevé situé à l'Ouest de ces failles, le seul accident qui puisse représenter le prolongement du chevauchement du Rochail est le « Chevauchement de la Chave » (CC, fig. 2 et 3) qui traverse le ravin de ce nom vers l 950-2 000 m d'altitude. Cependant le mouvement chevauchant indiqué par l'azimut du plan de cassure et par celui des crochons affectant les dolomies triasiques est ici plutôt dirigé vers le NE. Il est donc, en fait, impossible de déterminer si ces deux chevauchements correspondent à un même accident E-W décroché par des failles N-S ou si ce sont deux accidents indépendants mais se relayant, en quelque sorte, de part et d'autre de failles méridiennes pré-existantes.
3) Le chevauchement de Valsenestre (VERNET, 1961). Le tracé de cet accident se suit, à la faveur d'une succession de jalons constitués par des affleurements discontinus de sédimentaire, depuis les abrupts dominant le village de Valsenestre jusqu'au sommet de la brèche du Lauvitel (fig. 2). Il limite en particulier, à son extrémité Est, la bande mésozoïque du lac Labarre. Sa surface de cassure est orienté N 170 et pend vers l'Est, ce qui correspond plutôt à un chevauchement vers l'Ouest. Il limite vers le Sud l'extension du secteur étudié dans cet article.
En définitive, on rencontre une grande variété d'accidents de socle: les failles chevauchantes témoignent de mouvements diversement dirigés, ce qui tend à confirmer que les déformations de ce secteur résultent de plusieurs phases de serrage selon des directions distinctes (variant de N-S à E-W). Les failles les plus importantes (failles du lac du Vallon) montrent des indices portant à envisager qu'elles ont eu un fonctionnement précoce (peut être dès le Lias puisqu'elles paraissent s'y amortir), avant de rejouer lors de ces serrages.
Les multiples plis du Mésozoïque du synclinal de Bourg-d'Oisans ont déjà fait l'objet d'études détaillées (GRATIER, 1973; GRATIER et VIALON, 1979). Il importe pour notre propos de souligner que ces anticlinaux et synclinaux, de longueur d'onde et d'amplitude déca- à hectométrique, s'organisent en plis d'ordre supérieur, kilométriques, dont l'individualité se manifeste notamment à la lecture des cartes géologiques (fig. 2).
a) Du Nord au Sud, deux synclinaux majeurs viennent ainsi à tour de rôle se terminer contre la bordure du massif cristallin.
1 ) Le synclinal de Villard-Reymond (fig. 5), que tranche la vallée de la Romanche au niveau de Bourg d'Oisans, présente une forme dissymétrique, à vergence Est (que la perspective exagère d'ailleurs énormément lorsqu'on l'examine depuis le versant opposé de la vallée) et une direction axiale sensiblement N-S. Il est en effet bordé à l'Ouest par l'anticlinal de Prégentil qui dessine globalement un genou déjeté vers l'Est, lui-même accidenté de replis, certains de même direction axiale, d'autres transaxiaux comme le synclinal du col de Corbière (au Sud de la Tête de Louis XVI).
Largement rempli de schistes aaléniens à la latitude de Villard Reymond, où il atteint sa plus grande ampleur, le coeur du synclinal se rétrécit
vers le Sud à la faveur d'une remontée axiale qui fait réapparaître partout le Lias calcaire dans le versant nord du Grand Renaud. Dans ce secteur le synclinal est en outre recoupé obliquement par des plis secondaires (les plis du Clôt de la Selle: voir plus loin), ce qui contribue à son étranglement. Enfin, un peu plus au Sud, dès le versant méridional du Petit Renaud, le synclinal de Villard-Reymond perd son individualité. Dans le prolongement de son flanc ouest, toutefois, un mouvement de décalage vertical des couches, comparable à celui dû au plissement, est introduit par le jeu des failles du lac du Vallon. Ceci porte à considérer que la flexion des couches constituant le flanc ouest du synclinal est l'expression dans la couverture du rejet de ces failles au niveau de socle (fig. 4).
2) Le synclinal du lac Labarre (fig. 6), d'orientation N 120, relaye vers le SW celui du Villard-Reymond car il naît là où le précédent s'efface. Simple repli dans le versant ouest des sommets des Pâles et des Clottous, il s'individualise nettement, plus au Sud, dès le ravin d'lssard (près de Confolens). Entre le lac Labarre et le vallon de Valsenestre, il prend l'aspect d'un véritable fossé sédimentaire pris entre les deux masses de cristallin du Signal de Lauvitel (au NE) et de l'Arcanier (au SW). En rive gauche du vallon de Valsenestre enfin, il bute contre le chevauchement de Valsenestre. Sa structure interne, simple au Nord de Confolens, se complique vers le SE par apparition de replis multiples. Sur le flanc NE de ce synclinal, le contact sédimentaire/cristallin est stratigraphique, même si localement, dans les pentes séparant le lac Labarre du Signal de Lauvitel, ce contact est renversé et cisaillé tangentiellement. Le flanc SW, très redressé, est affecté, au contact du cristallin par une faille à rejet stratigraphique normal, passant localement à un. chevauchement vers le NE.
b) Indépendamment de ces deux plis majeurs, dans lesquels
schistosité et plans axiaux sont subverticaux, on observe
dans la montagne du Grand Renaud-Pic du col d'Ornon trois trains
de plis décamétriques à hectométriques
qui se singularisent au contraire par leur déversement
accusé.
1 ) Les plis du Clôt de la Selle sont déversés
vers l'W et ont une orientation axiale moyenne N 20, légèrement
oblique par rapport à celle du synclinal de Villard-Reymond,
sur le flanc oriental duquel ils se développent. On peut
les observer sur les deux versants de l'arête nord du Grand
Renaud (Crête de la Croix de la Garde) et notamment, sur
son versant ouest, dans les pentes dominant la source du Clôt
de la Selle. Ici ils s'intègrent à une structure
anticlinale de plus grande taille dont le coeur, liasique, se
suit sur plus d'un kilomètre (fig. 3 et 5) depuis la Croix
du Carrelet au NE jusqu'à la Combe du Grand Renaud au SW.
Le développement de ce pli contribue largement à
l'étranglement vers le Sud de la dépression synclinale
de Villard-Reymond. A l'est du Clôt de la Selle, notamment
sous la Croix du Carrelet et dans les ravins qui descendent de
l'arête nord du Grand Renaud vers Villard-Notre-Dame, cet
anticlinal se rompt et passe à un chevauchement (fig. 3
et 7) qui se raccorde, dans le cristallin, à celui de Pierre
Grosse. Le crochon synclinal décrit par les couches sous
le chevauchement est, comme les autres plis de ce faisceau, orienté
N 20 et déversé vers l'Ouest, de sorte qu'il est
évident que tous ces plis doivent leur caractère
particulier à ce qu'ils ont été induits par
l'amortissement, dans la couverture, d'une faille inverse de socle.
2) Les replis du Pic du col d'Ornon sont également la traduction dans la couverture du mouvement chevauchant d'une faille de socle: en effet ils s'organisent en un faisceau à plan axial penté vers le Sud qui traverse en oblique la succession stratigraphique depuis le Malm inférieur (fig. 8) jusqu'au socle cristallin, en se raccordant au chevauchement du Rochail. Ces plis sont fortement déversés vers le NNW et se rompent fréquemment en pli-failles (fig. 9). Il n'a pas été possible, peut-être en raison des conditions d'affleurement insuffisantes, d'en retrouver les prolongements vers l'W au-delà de la faille du lac du Vallon.
3) Les replis de la barre tithonique du Grand Renaud sont d'importance plus mineure mais bien visibles sur le flanc ouest (fig. 10) et sur le flanc est (fig. 3) de la crête des Rochers du Grand Renaud, ce qui permet de préciser leur direction axiale, très voisine de N 120. Malgré cet écart d'azimut par rapport aux replis du Pic du col d'Ornon, il semble raisonnable de les considérer comme leurs équivalents en raison de leur sens de déversement analogue, vers le Nord, et du style de ces accidents, caractérisé par l'importance des phénomènes de glissement couches sur couches (fig 11).
.
(plusieurs résultats exposés ci-après s'appuient sur les déterminations d'ammonitofaunes jurassiques obligeamment effectuées par R. ENAY et R. MOUTERDE)
Les principaux points sur lesquels nos recherches modifient les connaissances sur le contenu de la série stratigraphique de ce secteur seront examinés en commençant par le haut de la succession.
On admettait que les couches qui coiffent la falaise tithonique au Grand Renaud et au Pic du col d'Ornon se terminaient avec l'Hauterivien, voire le Barrémien (REBOUL, 1962). En fait, elles n'ont livré que très peu de fossiles (nous n'avons pour notre part observé qu'une empreinte de Berriaselle dans les éboulis, peu en contrebas est du sommet 2 776): les deux exemplaires récoltés par J. REBOUL et déterminés alors comme des Sarasinella, sont, d'après J.P. THIEULOY qui les a réexaminés, des formes d'âge antérieur au Valanginien, attribuables à des Berriaselles. Il en résulte que`les calcaires argileux gris-clair, plaquetés et à pâte fine, pélagique, qui surmontent le Tithonique et qui ont livré ces fossiles à leur sommet sont en totalité d'âge Berriasien.
Les couches plus élevées, qui forment un ressaut marqué et affleurent au Nord du sommet du Grand Renaud (point 2 710) ainsi qu'au Pic du col d'Ornon, sont des calcaires gréso-argileux bruns souvent mal lités. Ce faciès est sans aucun rapport avec les calcaires bioclastiques du Sud du Vercors et du Nord du Dévoluy auxquels J.
REBOUL avait cru pouvoir les comparer. Par contre, il ressemble de très près à celui qui se développe dans le Valanginien (et dans l'Hauterivien basal) à la bordure NE du Dévoluy, 25 km plus au SE. Or ce faciès ne se développe en Dévoluy que selon une zone allongée NE-SW, qui se dirige précisément vers le Grand Renaud. Il est donc très probable que ces couches se retrouvent ici et, par conséquent, que le terme supérieur de la coupe de ce massif soit seulement valanginien.
Au coeur des synclinaux de Villard-Reymond et du lac Labarre, affleurent largement des schistes noirs qui avaient été attribués en totalité à l'Aalénien (REBOUL, 1962) ou qui n'avaient pas été distingués du Lias calcaire. Une partie de ces schistes, par exemple à Villard-Reymond, est bien aalénienne comme cela a été établi paléontologiquement (BARFÉTY et al., 1972), mais la plus grande partie est d'âge soit toarcien soit jurassique supérieur (et assimilable, dans ce dernier cas, aux Terres Noires).
Les schistes toarciens sont particulièrement développés à l'Ouest du secteur étudié ici, aux abords du col d'Ornon; on les trouve aussi au Nord de Villard-Reymond. Ils se distinguent assez aisément des schistes aaléniens qui sont uniquement argileux, voire silteux - par leur teneur plus ou moins grande en calcaire.
Les Terres Noires par contre ne se distinguent pratiquement pas des schistes aaléniens par leur faciès et reposent parfois directement, sans intercalation de schistes du Lias ou du Dogger, sur les formations calcaires inférieures, globalement rapportées jusqu'à maintenant au Lias calcaire. Leur première caractérisation (BARFÉTY et GIDON, 1982) résulte des récoltes paléontologiques et, en l'absence de tels arguments, un doute subsiste encore sur l'âge des schistes noirs du coeur de certains replis synclinaux.
Un secteur particulièrement favorable pour l'étude de la stratigraphie du Jurassique supérieur de cette région est celui de la Montagne du Grand Renaud: on dispose en effet ici de plusieurs
coupes qui montrent, dans un contexte de tectonisation modeste, une succession stratigraphique continue, des Terres Noires au Tithonique (dont la présence a été reconnue par REBOUL en 1962). On y reconnaît sans peine la succession de termes qui caractérise toutes les coupes du rebord subalpin, des environs de Grenoble jusqu'au Dévoluy, puisque l'on peut distinguer de bas en haut:
- des « Terres Noires supérieures » (ordinairement rapportées ailleurs à la zone à Plicatilis), caractérisées par des intercalations espacées de grosses galettes ou de lits discontinus, d'épaisseur décimétrique, de calcaires finement silteux à patine orangée à pourprée;
- un « Argovien » formé de calcaires très argileux en gros bancs et à patine souvent ocreuse. Il a fourni un Dichomosphinctes de la zone à Plicatilis (Oxfordien moyen), récolté avec J. DEBELMAS, au lac Labarre, à la partie inférieure de cette formation; dans ce secteur c'est le terme le plus élevé de cette succession que l'érosion ait conservé (fig. 6 et 14).;
- un « Séquanien » formé de calcaires moins argileux, à litage plus fin (bancs de 20 à 40 cm), lui-même séparé de la falaise Tithonique, plus massive, par un niveau décamétrique à bancs plus petits et plus riches en joints marneux. Tout indique (notamment le texte de la lettre envoyée par P. LORY à G. CHERREY en accusé de réception du fossile récolté par ce dernier) que c'est ce dernier niveau qui a fourni à G. CHERREY, en 1947, un Progeronia (considéré alors comme un Procerites du Bathonien et conservé dans les collections de l'Institut Dolomieu).
Chacun de ces termes n'a toutefois qu'une épaisseur qui ne dépasse pas une trentaine de mètres, c'est-à-dire quatre fois plus modeste, au moins, que celle qu'ils atteignent dans les chaînes subalpines .
Les Terres Noires elles-mêmes subissent d'un point à l'autre d'importantes variations d'épaisseur, allant de 0 à plus de 100 m. Là encore le secteur du Grand Renaud est particulièrement favorable à l'étude de ces variations. On y constate notamment un amincissement progressif, du NW vers le SE, depuis le versant nord du Grand Renaud jusqu'aux abords du col du Rochail (fig. 3, 8, et 13).
En ce qui concerne les causes et les modalités de ces variations, quelques observations significatives peuvent être rapportées.
a) L'âge de la base des Terres Noires a pu être précisé paléontologiquement en trois points:
- Dans la Combe du Grand Renaud (fig. 10; coordonnées Lambert: x = 890,1; y = 306,75), où les Terres Noires sont réduites à une dizaine de mètres et reposent sans transition sur les couches plus anciennes, nous avons récolté un exemplaire de Sowerbyceras: ceci indique que leur dépôt n'a guère débuté ici avant l'Oxfordien.
- Au col situé à l'E du Petit Renaud (coordonnées Lambert: x = 889,3; y = 305,5) et à l'extrémité inférieure de l'éperon nord de ce sommet (coordonnées Lambert: x = 889,2; y = 306,9), nous avons recueilli plusieurs Lytoceras tripartitum et des Parkinsonia, ce qui indique le Bajocien supérieur. Ici (fig. 10), les Terres Noires atteignent près de 100 m et passent transitionnellement, par 10 m de calcschistes argileux gris, aux termes sous-jacents; ce sont ces calcschistes qui sont fossilifères.
Ainsi, la réduction d'épaisseur des Terres Noires est donc liée à un retard dans le début de leur dépôt et à une disparition de leurs termes basaux. Même si l'étude de la formation qui leur est sous-jacente (les calcaires du Petit Renaud, voir plus loin) tend à faire penser qu'il puisse y avoir vis à vis d'elle un passage latéral avec condensation, cela correspond clairement à un dispositif de transgressivité sur une paléopente.
b) Un biseautage sommital des Terres Noires par discordance des formations calcaires du sommet du Malm a également dû contribuer à leur réduction. En effet, on constate dans les abrupts nord-orientaux du point 2 556 de l'arête nord du Grand Renaud (fig. 3 et 7) que la base des Terres Noires est décalée par une faille normale subméridienne dont la lèvre orientale est soulevée. Comme cette faille n'affecte pas la corniche tithonique, les Terres Noires sont ici réduites localement à quelques mètres au point le plus élevé de cette lèvre orientale de la faille: c'est là un indice de mouvements tectoniques oxfordiens (le cachetage de la faille est effectué par les couches du Séquanien, mais l'Argovien est décalé par la cassure).
c) On peut également remarquer que les premières faunes oxfordiennes ont été récoltées dès la partie basse des Terres Noires même dans des secteurs, comme l'arête nord du Grand Renaud, où les calcschistes bajocien supérieur sont représentés à la base de la formation. Aucun fossile bathonien ou callovien n'ayant été recueilli, on peut donc se demander si ces deux étages ne correspondent pas à des niveaux condensés ou à une lacune au sein de la formation marneuse.
En définitive, plusieurs processus sont donc responsables, concurremment, des variations d'épaisseur des Terres Noires, mais tous sont vraisemblablement en relation avec des mouvements tectoniques créateurs de paléopentes par basculement entre le Bajocien et le Kimméridgien.
Dans les hauts vallons de Confolens et de Valsenestre, se développe une formation calcaire, puissante de plus de 100 m en général, qui n'a été distinguée du Lias calcaire que récemment (BARFÉTY et GIDON, 1982). Nous proposons de la dénommer « Calcaires du Paletas >), du nom d'un petit sommet remarquable qui en est formé (fig. 2 et 12).
A beaucoup d'égards ces calcaires ressemblent à s'y méprendre à ceux du Jurassique terminal du Grand Renaud. Sous l'angle stratonomique d'abord, car ils montrent des bancs massifs, décamétriques (analogues à ceux de la corniche tithonique), surmontant en général des bancs de 20 à 50 cm à joints argilo-calcaires décimétriques (comparables à ceux du Séquanien) et souvent surmontés en outre par des petits bancs décimétriques évoquant ceux du Berriasien. De plus, dans la coupe du Paletas, ces calcaires reposent sans ambiguïté (fig. 12) sur des Terres Noires (qui sont en continuité avec celles datées paléontologiquement au lac Labarre). Du point de vue faciologique les analogies ne sont pas moins frappantes: il s'agit le plus souvent, en effet, de calcaires gris-clair, en patine comme en cassure, dont la pâte est fine, micritique et riche en radiolaires calcitisés. Les faciès noduleux, bien connus dans le Tithonique, y sont fréquents, notamment dans les bancs les plus massifs.
Compte-tenu de l'absence totale d'éléments de datation paléontologique il serait donc tentant de voir dans les calcaires du Paletas un Jurassique terminal de faciès un peu particulier. Toutefois, ils se singularisent par l'abondance des bioclastes, jusque dans les faciès d'aspect relativement fin, l'absence totale de Calpionelles même dans les niveaux les plus élevés, et par la fréquence des passées crinoïdiennes, qui se rencontrent, aux divers niveaux de la formation, d'une façon capricieuse et irrégulière. Mais surtout une telle attribution doit être en réalité totalement écartée en raison des relations des calcaires du Paletas vis à vis des Terres Noires. En effet:
1° Les Terres Noires du synclinal du lac Labarre sont séparées du Lias, sur les deux flancs, par les calcaires du Paletas: ceux-ci ne peuvent donc être plus jeunes (fig. 6, coupes 3 et 4).
2° Ces mêmes Terres Noires enveloppent, au Nord du lac, des têtes de replis anticlinaux peu déversés dont le coeur est formé aussi par les calcaires du Paletas (fig. 6, coupes 2 et 3).
Ces deux.observations paraissent en contradiction avec le passage, incontestable, de ces mêmes Terres Noires sous les calcaires du Paletas (fig. 6, coupe 1) et l'absence de ces calcaires entre Lias et Terres Noires dans le flanc ouest du synclinal dans la coupe du vallon de Confolens (fig. 6, coupe 1). En réalité, cela est dû à la disparition stratigraphique, d'Est en Ouest, des calcaires du Paletas, qui se fait par effilement en biseaux multiples au sein même des Terres Noires. La réalité de ce dispositif stratigraphique nous a été démontrée par l'observation directe de passages latéraux entre les deux faciès: ces passages latéraux se font en quelques dizaines de mètres, voire moins, par apparition, dans la matrice marneuse noire, de nodules calcaires qui deviennent de plus en plus nombreux au point de n'être plus séparés que par des membranes millimétriques qui s'épaississent accidentellement. Ainsi se réalise un type de calcaires noduleux et feuilletés à patine brunâtre que l'on trouve presque systématiquement entre les calcaires du Paletas proprement dits et les Terres Noires, mais qui se rencontrent aussi parfois en intrications dans les calcaires clairs. Nous avons observé ce passage transitionnel dans les pentes du haut vallon du ravin de Pisse Rousse, en Valsenestre. Mais c'est surtout en rive gauche du vallon de Confolens que les observations sont les plus claires et les plus significatives. Là, en effet, dans les pentes des Terrasses et surtout du ravin de Gnion, au pied SW des Rochers de la Grande Eglise, on voit, dans le flanc ouest d'un repli anticlinal, toute la succession des calcaires du Paletas, soit plus de 100 m de couches subverticales, passer latéralement en quelques dizaines de mètres, aux seules Terres Noires, par disparition totale mais progressive (fig. 6, coupe no 3).
En définitive, on peut donc affirmer que les calcaires du Paletas constituent un équivalent latéral des Terres Noires. Dans le secteur du lac Labarre, seule la partie basse de la formation, antérieure aux niveaux datés de l'Oxfordien inférieur (zone à Cordatum), montre ce passage latéral à la formation calcaire; mais la multiplicité des indentations marnes/calcaires noduleux/calcaires francs, laisse à penser que la tranche stratigraphique concernée par ce changement de faciès pourrait déborder largement ces limites. Il est donc probable que la formation des calcaires du Paletas est principalement d'âge Oxfordien basal-Callovien, mais qu'elle peut englober éventuellement aussi bien le Bathonien que l'Oxfordien supérieur selon les points.
Depuis la montagne du Grand Renaud jusqu'au lac Labarre, les Terres Noires reposent partout, par passage transitionnel, sur une formation calcaire épaisse de quelques dizaines de mètres qui forme souvent un ressaut rocheux assez bien individualisé. Ces « Calcaires du Petit Renaud » constituent la majeure partie des arêtes du sommet de ce nom, au NE et SE du point côté 2 606. De faciès rapidement variable, tant horizontalement que verticalement, ces couches sont constituées par des calcaires gris assez clairs, à patine un peu ocreuse, voire même brunâtre par places ou à certains niveaux. Le fait prédominant est la fréquence des niveaux crinoïdiens qui envahissent souvent toute la partie basse de la formation mais apparaissent aussi, en nuages plus ou moins allongés d'épaisseur décimétrique, dans ces termes plus élevés. D'autre part, on y rencontre très fréquemment une texture noduleuse avec des éléments atteignant une taille moyenne de 5 à 10 cm, qui est plus ou moins marquée selon les points et coexiste souvent avec la présence d'encrines.
Ces calcaires n'ont livré presqu'aucun élément de datation paléontologique. Toutefois, un exemplaire d'Holcophylloceras, recueilli au point 2 441 de l'arête NE de la Tête des Chétives permet de conclure à un âge plus récent que l'Aalénien. D'autre part, la récolte d'un Coeloceras blagdeni (Bajocien moyen), anciennement signalée dans ce secteur (« au col du lac Labarre »: KILIAN et REVIL, 1912), ne peut guère avoir été faite que dans ces couches.
Partout les calcaires du Petit Renaud reposent directement sur le Lias calcaire. Souvent, il y a une lacune du sommet de ce dernier ou des indices d'une érosion précédant le dépôt des calcaires nodulo-encrinitiques:
-A la Tête de Louis XVI (à l'Ouest de Villard-Reymond), ils ravinent les calcaires rubanés carixiens par l'intermédiaire de 2 à 3 m de marno-calcaires gréso-argileux sombres contenant des galets disséminés de Lias calcaire (faciès « schistes à blocs »).
- Plus au Sud, dans les pentes ouest du Pic du col d'Ornon (versant sud de l'arête du point coté 2 582), ils reposent directement (localement même avec nette discordance angulaire) sur les couches situées immédiatement au-dessus du niveau repère à patine rouille (daté, par des Echioceras, du Lotharingien supérieur).
- Plus au Sud encore, sur les deux rives du vallon de Confolens (au Paletas, comme aux Rochers de la Grande Eglise), les calcaires du Petit Renaud, toujours sous-jacents aux Terres Noires, reposent directement sur des niveaux d'âge mal déterminé, mais inférieurs au niveau à patine rouille du Lotharingien supérieur.
Dans d'autres cas, au contraire, il y a continuité de sédimentation apparente. C'est ce qui a lieu, notamment dans la versant ouest du Grand Renaud où nous avons relevé une coupe qui est, en outre, très représentative de la succession des termes constituant la formation. Vers l'altitude de 2 300 m (coordonnées Lambert: x = 889,4; y = 307,2; fig. 10), la gorge du torrent de la Combe du Grand Renaud recoupe de bas en haut:
-1) Calcaires liasiques. Ils se terminent par 2 m seulement de calcaires rubanés à joints orangés, du Carixien; ces derniers passent progressivement mais rapidement, vers le haut, par dissociation des bancs, à des calcaires noduleux de teinte ocreuse, épais de 2 m, contenant de grosses Belemnites.
-2) Calcaires noduleux bruns à nombreuses encrines formant un ressaut de 5 m, mais passant transitionnellement, à leur base, au niveau précédent: c'est là un niveau presque toujours représenté à la base de la formation.
-3) Vire marneuse de 5 m. Elle est formée de calcschistes noirs contenant encore des encrines mais aussi des petits bancs, épais de 5 à 10 cm, plus ou moins discontinus, de calcaires gris [ce niveau marneux s'effile rapidement vers l'Ouest. Vers l'Est par contre (fig. 7) il se développe jusqu'à atteindre plus de 10 m en contrebas est des Rochers du Grand Renaud, où il inclut un faisceau de bancs calcaires gris sombre, réguliers, d'épaisseur décimétrique. En divers autres points, des niveaux marneux se rencontrent ainsi, intercalés à des niveaux probablement différents, dans la formation].
-4) Ensemble mal lité, épais de 20 m, formé de calcaires argileux gris très schistosés; les passées encrinitiques et/ou noduleuses y sont fréquentes, mais réparties de façon capricieuse; on y trouve encore des grosses Bélemnites.
-5) Le passage transitionnel du terme précédent aux Terres Noires se fait sur une vingtaine de mètres par un niveau de calcschistes argileux gris clair, feuilletés, sans encrines. Ce sont eux qui ont fourni, quelques centaines de mètres plus au SW, des Ammonites du Bajocien supérieur (voir plus haut).
En définitive on voit que les calcaires du Petit Renaud débutent, au moins en certains points, dès le Carixien et peuvent s'élever jusqu'au sommet du Bajocien (voire au delà puisqu'ils supportent directement des couches oxfordiennes en divers points, notamment à l'Est du Grand Renaud). Malgré leur épaisseur réduite, ils couvrent donc un grand intervalle stratigraphique sans montrer de niveaux plus particulièrement susceptibles de correspondre à des lacunes importantes. Il s'agit donc d'une formation probablement compréhensive, condensée, qui se développe dans l'intervalle Lias moyen- Dogger.
Depuis le Grand Renaud jusqu'au village de Valsenestre, les seuls dépôts représentant le Lias moyen et le Dogger sont les Calcaires du Petit Renaud. Pourtant, quelques kilomètres plus à l'Ouest, dans la vallée d'Ornon, c'est sous un faciès très différent, de schistes plus ou moins calcaires selon les niveaux, qu'affleurent sur des fortes épaisseurs les couches du Domérien, du Toarcien et de l'Aalénien.
En fait la zone de transition coïncide presque partout, aussi bien au Nord qu'à l'Ouest du Grand Renaud, avec des secteurs anticlinaux où l'érosion n'a pas laissé subsister les couches plus récentes que le Lias moyen. Toutefois, cette transition est observable sur environ I km en rive gauche de la Combe du Grand Renaud (fig. 13). Les faits que l'on y observe sont très significatifs et prouvent qu'il y a passage latéral entre la formation du Petit Renaud et les formations habituelles du Dogger.
En effet, dans les parties hautes de ce vallon, à l'est du sommet des Pâles (fig. 3), les calcaires du Petit Renaud s'effilent par indentations dans des calcschistes feuilletés gris analogues à ceux du Bajocien supérieur du Petit Renaud. Plus bas, entre les altitudes de 2 050 et 1 880 m, ces calcaires nodulo-encrinitiques s'indentent dans une formation de calcschistes calcaréo-argileux noirs contenant des bancs de calcarénites sombres à patine roussâtre. Cet ensemble, qui affleure à flanc de versant sur les pentes de rive droite jusqu'à l'aplomb de la Croix du Carrelet, est à rapporter selon nous, pour des raisons d'analogies de faciès et par encadrement, au Bajocien inférieur à moyen. A son sommet il contient des intercalations lenticulaires, d'épaisseur décamétrique, de grès calcareux clairs. Aux approches du contact avec la formation du Petit Renaud, ces bancs de grès sommitaux s'effilent et disparaissent en perdant leur individualité. On y trouve de plus, inclus dans les schistes, des lentilles, de longueur décamétrique, de calcaires nodulo-encrinitique, voire même de calcaires rubanés de faciès carixien; on ne peut les interpréter que comme des olistolites de Carixien. Au delà de ce point, on retrouve encore les calcaires du Petit Renaud intercalés entre Lias calcaire et Aalénien à la Tête de Louis XVI, mais ils manquent totalement dans la combe en contrebas Est de ce sommet. Enfin, plus au Nord encore, cette formation n'est plus individualisée mais des faciès crinoïdiens se rencontrent par plages diffuses dans les calcaires carixiens et envahissent largement la base des marno-calcaires argileux à patine brune du Domérien inférieur dans le versant ouest du Signal de Prégentil (point I 841). A l'Est de Prégentil les encrines disparaissent également des couches du Lias moyen dans le secteur de la Chapelle Saint-Philomène où (fig. 13) l'Aalénien vient aussi en contact direct sur le Lias calcaire.
Tout ceci montre que les faciès encrinitiques du Petit Renaud peuvent apparaître par passage latéral aussi bien dans le Lias médio-supérieur que dans le Dogger et confirme qu'ils constituent bien une formation compréhensive. Mais la limite supérieure de celle-ci est diachrone, plus élevée dans la série vers le Sud (où elle atteint le Bajocien supérieur) que vers le Nord (où elle est plus basse que l'Aalénien supérieur). Les modalités de l'apparition latérale de ce faciès, avec l'important amincissement dés dépôts (de l'ordre du cinquantième) qui le caractérise et son accumulation marginale d'olistolites, ainsi que sa nature même, indiquent en outre que c'est au sommet de pentes sous-marines qu'il s'est localisé: cela atteste donc de basculements synsédimentaires apparus dès la fin du Lias.
Nous avons vu que dans le secteur du lac Labarre les calcaires du Paletas étaient l'équivalent latéral d'une partie au moins des Terres Noires et, d'autre part, que les calcaires du Petit Renaud empiétaient vraisemblablement aussi sur la partie inférieure de ces dernières dans le soubassement du Pic du col d'Ornon. En outre, il existe de frappantes analogies de faciès entre les calcaires nodulo-encrinitiques qui constituent presque totalement la formation du Petit Renaud et ceux qui se rencontrent plus sporadiquement dans celle du Paletas. Ces deux formations sont donc à la fois analogues par leur faciès et proches par leur position chronostratigraphique. Leurs relations mutuelles sont observables dans la coupe du synclinal du lac Labarre offerte par le vallon de Confolens, seul point où elles soient superposées sur une même verticale. Or nous avons vu (fig. 12 et 14) que les Terres Noires qui s'intercalent entre elles, s'amincissent et s'effilent complètement vers le NE. Il en résulte que les deux formations viennent en coalescence et que l'on ne peut plus les distinguer l'une de l'autre. Plus à l'Est et au SE, dans le flanc NE du synclinal, on ne trouve plus qu'un seul ensemble de calcaires clairs ou noduleux entre le Lias et les Terres Noires.
La superposition directe de calcaires clairs de type Paletas sur la formation du Petit Renaud s'observe localement aussi dans le versant nord du Grand Renaud (au NE de la Fontaine du Clôt de la Selle et jusque sur le versant est de la crête de la Croix de la Garde), sans qu'ici encore une limite nette puisse être placée entre les deux.
En définitive, ces deux formations appartiennent donc vraisemblablement à un seul corps sédimentaire calcaire développé sur les hautes pentes de bordure d'un bassin à sédimentation marneuse. Ce corps sédimentaire dont les limites inférieure et supérieure sont probablement diachrones s'est édifié depuis le Carixien, et jusqu'à l'Oxfordien au moins, sur les pentes nord-occidentales de l'actuel massif du Rochail (fig. 14). Du Carixien jusqu'au Bajocien inclus il ne représentait qu'un enduit, totalisant quelques dizaines de mètres d'épaisseur, que nous avons appelé la formation du Petit Renaud. A l'Oxfordien, une sédimentation calcaire fine plus abondante a permis transitoirement à ce corps sédimentaire de s'étendre vers l'Ouest en empiétant sur le domaine de sédimentation des Terres Noires: c'est notre formation du Paletas qui ne représente en somme qu'une apophyse latérale de cette construction sédimentaire carbonatée.
Les variations sédimentaires qui viennent d'être décrites impliquent l'intervention de mouvements du fond marin entre le Lias moyen et le Jurassique supérieur. Or cette structuration jurassique, que nous percevons ainsi indirectement, possède une organisation géographique qui coïncide assez bien avec plusieurs traits de la disposition tectonique actuelle: la structure actuelle de ce secteur est donc, au moins en partie, d'origine paléotectonique.
La surface du cristallin du massif du Rochail-Lauvitel dessine une demi-coupole qui plonge vers le SW dans sa partie méridionale (Valsenestre) et au contraire vers le NW en direction de Villard-Notre-Dame (VERNET, 1965), à son extrémité septentrionale. Cette disposition retentit sur la tectonique synschisteuse de la couverture en induisant une virgation, convexe vers l'Ouest, des axes de plis et de la schistosité (GRATIER, 1973). Pour expliquer cette disposition on a proposé (GRATIER, 1973) d'y voir le résultat du jeu dextre de décrochement diffus, NE-SW, localisés à la marge septentrionale de la coupole de socle. En fait, les données sédimentaires portent à penser que le relief de socle cristallin, susceptible d'avoir joué le rôle d'un poinçon dans la déformation de la couverture, est une structure acquise, pour une très large part, dès le Jurassique. Nous détaillerons, ci-après les arguments en faveur de cette manière de voir.
De nombreuses observations indiquent un basculement vers le SW de la surface du socle au cours du Jurassique.
1) Les calcaires du Paletas reposent en discordance, du SW vers le NE, sur des termes de plus en plus anciens de la série. Ce biseautage est particulièrement visible entre la cabane du vallon de Valsenestre et la brèche de l'arête SSE du signal de Lauvitel, brèche qu'emprunte le sentier qui se dirige vers le lac Labarre (fig. 6, coupes 4 et 5). Entre la cabane et l'altitude 2 200 m, les calcaires du Paletas, qui sont redressés à la verticale, sont séparés du Trias par une bande de Lias qui se rétrécit rapidement. Entre 2200 m et 3000 m, les premiers bancs de calcaires du Paletas contiennent des blocs décimétriques à plurimétriques de spilites triasiques. Plus haut, à la brèche elle-même, ils reposent sur quelques mètres seulement de dolomies triasiques dégarnies des spilites qui les recouvrent normalement, non loin de là, tant au NW que plus à l'Est. Plus au Nord, dans le versant méridional de la brèche de Lauvitel, les calcaires du Paletas se rencontrent en remplissage d'excavations décamétriques dans le cristallin ou reposent sur celui-ci par une surface corrodée. Ils contiennent alors, dans leurs premiers mètres, des nuages de graviers millimétriques à centimétriques, ainsi que quelques blocs métriques de ce même cristallin. Une telle érosion qui atteint le socle cristallin et le remanie à ce point implique évidemment un fort soulèvement.
2) Ce soulèvement, déjà accentué sans doute avant le dépôt des calcaires du Paletas, s'est poursuivi au cours de ce dernier. En effet, nous avons observé en deux points, au sein de cette formation, des discordances internes d'au moins 200 indiquant que les premières couches déposées ont basculé (par soulèvement du côté Est) avant le dépôt des suivantes (fig. 15 et 16).
3) La texture noduleuse de la roche peut elle-même résulter, pour une large part, de cette activité tectonique synsédimentaire. En effet, elle apparaît principalement dans la partie périphérique du corps sédimentaire, à sa base, à ses marges latérales et aussi à son sommet. Par ailleurs on observe un passage progressif depuis les faciès de nodules enchâsses dans une matrice argileuse jusqu'à ceux montrant des strates bien litées, devenant latéralement de plus en plus disloquées (faciès dissociés de la fig. 14). Il faut donc admettre que la formation des nodules résulte de la dissociation d'un corps sédimentaire calcaire stratifié et de l'accumulation à sa marge de fragments de strates plus ou moins finement brisées; ce phénomène ne peut être que favorisé par des mouvements de bascule répétés.
En outre, d'autres déformations, dont l'intervention est suggérée par certaines dispositions locales, ont dû s'additionner au basculement global de la surface du socle et compliquer le motif paléotectonique d'une façon qui reste cependant difficile à préciser:
1) Dans tout le versant SE de la crête qui descend vers le Sud depuis la Brèche de Lauvitel, les calcaires du Paletas reposent directement sur le cristallin. Pourtant au sommet de la crête, à la brèche même, existe un affleurement de Trias et de Lias; cela indique que la surface du socle s'infléchissait assez brutalement (vers le NW ou vers le NE) pour que ces terrains aient été soustraits à l'érosion préludant au dépôt des calcaires du Paletas. Il ne semble pas qu'une faille en soit responsable, mais les témoins de terrains sédimentaires sont trop rares ici pour que l'on puisse préciser la géométrie de l'agencement des couches.
2) Une importante diminution d'épaisseur affecte d'Ouest en Est le Lias calcaire du flanc SW du synclinal du lac Labarre à partir de la crête des Chétives; elle atteint son maximum sur le versant Valsenestre aux abords du thalweg du ruisseau de Pisse Rousse [notons également qu'ici les bancs liasiques reposent en discordance, par une surface de corrosion, sur les spilites triasiques]. Or, c'est sur la même transversale du synclinal mais sur l'autre flanc que le Lias disparaît totalement, de façon passagère, sur l'arête SSE du Signal de Lauvitel (cf. plus haut). La surface du cristallin dessinait donc là une voûte antiforme, orientée NE-SW et transverse aux structures actuelles. Peut être celle-ci se poursuivait-elle en direction de la Brèche de Lauvitel (dont les affleurements liasiques représenteraient la retombée NW de cette structure).
A l'aplomb du Grand Renaud la surface du cristallin du Rochail s'abaisse rapidement de plus de 1 000 m, vers le NW avant de reprendre une pente plus modeste au Nord de Villard-Notre-dame. C'est sur cette brutale inflexion que se greffent les chevauchements de Côte-Belle et, dans la couverture, les plis de l'arête N du Grand Renaud. Or, il existe des arguments très forts pour penser que ces accidents n'ont fait que reprendre une structure qui préexistait depuis le Jurassique. En effet, ils se situent à la frontière entre deux domaines caractérisés par des successions stratigraphiques différentes:
- Celui du socle du Grand Renaud, qui englobe le flanc supérieur des plis à coeur liasique dont la trace court dans son versant NW (« plis du Clôt de la Selle »): seule la formation du Petit Renaud sépare les Terres Noires du Lias calcaire et la succession est donc très réduite.
- Celui du synclinal de Villard-Reymond qui débute avec le flanc inférieur des plis du Clôt de la Selle: la succession s'y complète par plusieurs centaines de mètres de couches marneuses du Dogger et du Lias supérieur occupant le coeur du synclinal.
Il y avait donc, dès le Jurassique, une paléopente orientée SW-NE séparant une zone haute méridionale, que les Terres Noires elles-mêmes n'ont que difficilement recouvert, d'une zone déprimée septentrionale. C'est à cette circonstance que le synclinal de Villard-Reymond doit surtout de se terminer vers le Sud et de ne plus se dessiner dans le soubassement du Grand Renaud. Sa remontée axiale vers le Sud correspond, en fait, surtout à un basculement de la surface du socle qui est intervenu dès la fin du dépôt du Lias calcaire, et peu à un mouvement tardif par rapport à la formation du synclinal.
Le rôle de la paléotectonique est encore beaucoup
plus important en ce qui concerne l'origine même du synclinal
de Villard-Reymond et explique les particularités de sa
structure (fig. 5). En effet, à la latitude de Villard-Reymond,
les schistes de l'Aalénien supérieur qui forment
le coeur du pli sont en contact direct avec le Lias calcaire de
ses flancs. Cette disposition avait conduit à considérer
qu'il s'agissait d'un graben, limité par deux failles subméridiennes
(BARFÉTY et al., 1970). Elle est due, en réalité
à des mouvements tectoniques qui ont ployé le Lias
calcaire en synclinal avant le dépôt des couches
plus récentes. Plusieurs observations viennent à
l'appui de cette manière de voir:
Au total les dispositions géométriques décrites
ci-dessus amènent (compte-tenu de l'âge des couches
concernées) à admettre que le synclinal de Villard-Reymond
a commencé à se dessiner tôt dans le Jurassique,
dès le Carixien puisque c'est à cette époque
que des faciès réduits, de hauts de pentes, apparaissent
sur les crêtes anticlinales qui le limitent. La dépression
ainsi créée a subi un comblement sédimentaire
qui s'est appuyé en discordance sur les flancs (mais la
déformation tectonique ultérieure, par serrage,
a pu accentuer l'angle de discordance pour lui donner les valeurs
de plusieurs dizaines de degrés observables actuellement).
Ce comblement sédimentaire par des couches marneuses épaisses
contraste avec les successions réduites développées
sur les hauts fonds bordant cette dépression. Il s'est
accompagné vraisemblablement de mouvements expliquant l'émission
d'olistolites et s'est poursuivi, avant d'être complet,
au moins jusqu'au Bajocien.
Du point de vue strictement structural, il s'agissait là d'un sillon allongé N-S, dont le fond s'abaissait vers le Nord et qui, en fait, se greffe sur la retombée Nord de la demi-voûte du massif cristallin du Rochail. On peut considérer que le basculement synsédimentaire du flanc Est de ce synclinal peut être rattaché au basculement global du cristallin du massif du Rochail tout entier. Par contre, le soulèvement synsédimentaire qui a créé le flanc ouest du synclinal demande une autre explication. Celle qui vient le plus immédiatement à l'esprit est le jeu d'un accident de socle comparable en direction et en rejet à la faille du Col d'Ornon, c'est-à-dire d'une marche d'escalier à regard Est affectant le flanc occidental du bloc basculé du Rochail. Cette hypothèse a notre faveur pour deux raisons:
I) On constate, grâce au soulèvement axial des structures vers le Sud, que au niveau du Petit Renaud, donc dans le prolongement exact du flanc ouest du synclinal de Villard-Reymond, le socle est précisément dénivelé, dans le sens voulu, par les failles du Lac du Vallon.
2) Cela fournirait une explication satisfaisante de diverses particularités du flanc ouest de ce pli. La première est sa raideur, qui confère au synclinal une forme nettement déversée à l'Est (ce qui contraste avec le déversement vers l'Ouest des structures qui est plus généralement observé). La seconde est que le redressement des couches s'y accompagne de leur décalage décamétrique par de petites failles normales dont le rejet s'additionne au mouvement dû à la flexion. On en observe plusieurs notamment le long de l'échine qui descend du sommet de Prégentil vers le SE (fig. 5, coupe A). Compte tenu de ce qu'elles ne semblent pas affecter les terrains plus récents que le Lias calcaire, on peut envisager qu'elles représentent les derniers échos, les plus superficiels, de la tectonique cassante liasique du faisceau des failles de socle du lac du Vallon. Le fait qu'elles montrent des indices de fonctionnement postérieur à la tectonique synschisteuse (GRATIER, 1973) n'est pas contradictoire avec cette interprétation et peut être attribué à un simple rejeu.
Une autre interprétation serait d'admettre un raccourcissement E-W de la couverture à la fin du Lias. Comme on répugne à envisager l'intervention d'une phase de tectonique compressive à cette époque, on pourrait en rechercher la cause dans le blocage, contre le massif du Taillefer (déjà soulevé par la faille du Col d'Ornon) d'un glissement vers l'Ouest de la couverture, déclenché par le basculement du socle. Il s'agirait donc, en-ce cas, de plis de collapse de taille plurikilométrique formés, pendant la sédimentation jurassique, sur le flanc d'un bloc basculé.
Cette interprétation se heurte à deux difficultés:
- l'absence, ici, des niveaux d'évaporites triasiques qui sont classiquement considérés comme essentiels dans une désolidarisation de la couverture par rapport au socle.
- le fait que les profils sismiques des marges océaniques actuelles ne montrent pas de telles structures sur les flancs des blocs basculés que l'on y reconnaît.
L'étude stratigraphique et structurale de la couverture sédimentaire du massif du Rochail Lauvitel a donc permis de mettre en évidence des variations stratigraphiques liées à une paléostructuration jurassique. Il s'agit d'abord de réductions d'épaisseur portant sur une tranche importante de la série sédimentaire, du Carixien au Bajocien supérieur au Grand Renaud et jusque dans l'Oxfordien dans le versant ouest du Signal de Lauvitel. En outre, ces réductions peuvent se traduire par une simple lacune, suivie de discordance, comme c'est le cas dans le secteur de Villard-Reymond, ou s'accompagner, au Grand Renaud et jusqu'en Valsenestre, de l'apparition de faciès noduleux et encrinitiques (formation du Petit Renaud). Ces derniers se développent, par dislocation de couches mieux stratifiées, sur les marges d'un corps sédimentaire dont le maximum de développement semble dater du début du Malm (Callovien ?): ce dernier se singularise par ses faciès calcaires (les Calcaires du Paletas), inconnus à ce jour, dans la Zone Dauphinoise, à ce niveau stratigraphique.
Pour l'essentiel, deux aspects de la géométrie du dispositif paléotectonique mis en place à cette occasion se dégagent (fig. 17):
I) le massif du Rochail-Lauvitel s'est déformé dès le Jurassique pour prendre la forme d'un demi-dôme plongeant vers l'W-SW dans sa partie méridionale et vers le NW dans sa partie septentrionale, forme qu'il a pratiquement conservé depuis;
2) sur le flanc ouest de ce dôme une ligne de fractures méridiennes a fonctionné à partir du Lias moyen et a induit, par flexuration de la couverture déjà déposée, l'apparition d'un sillon incliné vers le Nord; ce trait morphologique des fonds jurassiques n'a été complètement effacé par l'accumulation des sédiments qu'au Bajocien supérieur.
Ce dispositif s'inscrit sans difficulté dans un schéma où l'organisation paléotectonique est dominée par le jeu des blocs basculés (LEMOINE et al., 1981) et nous offre l'occasion de mieux saisir les agencements de détail qui peuvent se dessiner dans un tel cadre.
Enfin, on mesure sur cet exemple la part qu'a pu avoir la déformation synsédimentaire dans l'édification des structures de la couverture et l'importance qu'il peut y avoir à chercher à l'évaluer pour avoir une compréhension meilleure du résultat final observable. On note en particulier ici que l'une des structures majeures de la région, le synclinal de Villard-Reymond, se révèle en définitive être pour l'essentiel un héritage de la tectonique distensive jurassique. Les serrages tardifs créateurs des replis hectométriques synschisteux n'ont finalement fait que le rétrécir et lui greffer quelques complications parasites relativement secondaires. D'autre part la structuration précoce du massif du Rochail, en un demi-dôme offrant un saillant vers l'Ouest par rapport au massif plus septentrional des Grandes Rousses, fournit probablement l'explication des modifications du caractère des déformations de la couverture à cette latitude. En effet la couverture sédimentaire, prise entre le rebord abrupt et rectiligne du massif du Taillefer (déjà soulevé par la faille du col d'Ornon; BARFÉTY et al., 1979) et le saillant du massif du Rochail, ne disposait là, dès le début des serrages, que d'un espace relativement rétréci. L'effet de poinçon invoqué (GRATIER, 1973) pour expliquer la virgation des plis et schistosités et l'accroissement du taux de serrage à l'Ouest du Rochail trouve donc très vraisemblablement son origine dans l'existence précoce, antérieure à tout serrage, de cette configuration.
Remerciements: Nous remercions
MM. R. ENAY, R. MOUTERDE et J.P. THIEULOY pour avoir accepté
d'examiner nos récoltes paléontologiques et M. M.
LEMOINE pour ses remarques critiques lors de l'élaboration
du manuscrit.
BARFÉTY (J.C.), DEBELMAS (J.) et MOUTERDE (R.) (1972). - Caractères stratigraphiques paléontologiques et structuraux du Jurassique inférieur et moyen des bordures W et SE du massif de Belledonne (Isère). Géologie alpine, t. 48, f. 1, p. 61-86.
BARFÉTY (J.C.) et GIDON (M.) (1982). - Conséquences paléotectoniques de la découverte de l'âge jurassique supérieur d'une partie de la couverture Ouest du massif du Pelvoux. C.R.A.S., 294, p. 1013-1016.
BARFÉTY (J.C.) et GIDON (M.) (1983). - Carte géologique la Mure au I/50000; B.R.G.M., sous presse.
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la tectonique alpine du socle dans la zone des massifs cristallins
externes du Sud des Alpes occidentales. Bull. Serv. Carte géol.
France, n° 275, t. LX, p. 131-424.
Depuis la parution de cet article un
certain nombre de points ont fait l'objet de réexamen et/ou
de retouches quant à leur interprétation. Il s'agit
essentiellement :
- de la signification du synclinal du Lac Labarre, qui paraît
en définitive assez comparable à celle du synclinal
de Villard Reymond.
- de la structure de la Tête des Chétives, qui n'y
est d'ailleurs évoquée que très marginalement
,en fig. 6 (coupes 2 et 3). Il y était admis que l'accident
qui traverse le versant nord de cette montagne était le
prolongement nord-oriental de la faille du Vet (cette dernière
venant ainsi se brancher sur le flanc ouest du synclinal du Lac
Labarre au niveau des Rochers de la Grande Église).
Il s'avère que l'accident en question a une toute autre
signification et correspond en fait au chevauchement des Chétives,
qui n'était pas évoqué dans l'article en
tant que structure distincte de la faille du Vet et qui n'était
pas représenté sur la coupe 3).
On trouvera des données plus précises sur ces deux aspects aux pages Arcanier, Chétives, Lac Labarre, Paletas et Clottous.