Compléments |
Regards actuels sur les Alpes :
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L'objet de cet exposé est de faire ressortir les succès et les obscurités qui résultent de l'application des nouvelles idées issues de la Tectonique globale, ou des nouvelles techniques récemment mises au point. Ceci en suivant l'évolution de la chaîne, depuis la naissance de l'océan alpin jusqu'au plissement final. On se limitera aux Alpes occidentales.
Avant même la théorie des plaques, on savait qu'au Secondaire, se produit la dislocation de la Pangée, dans le cadre de laquelle on voit s'ouvrir, entre les continents gondwanien et eurasiatique, l'océan téthysien. Il s'ouvre peu à peu vers l'W, à partir du Pacifique. Les nouvelles idées ont fait comprendre que le domaine océanique passe d'abord par un stade rift, c'est-à-dire un fossé de distension et d'effondrement, à croûte amincie, comparable au fossé alsacien ou à celui de Suez. Ce n'est qu'ultérieurement que ce fond aminci va craquer et laisser place à une croûte océanique comme dans les Afars ou le golfe d'Aden (stade de la fissure crustale)
C'est au Trias supérieur que le phénomène distensif prététhysien commence à affecter le futur domaine alpin en morcelant l'immense plate-forme carbonatée qui l'occupait. Le caractère distensif de la déformation apparaît dans le style des blocs et la présence locale de volcanisme (spilites dauphinois). Mais c'est seulement au Lias que l'on voit apparaître, dans les futures zones internes alpines, le rift lui-même, dit piémontais (fig.1,P). Des sédiments marins d'eau plus profonde, s'y accumulent tandis que les bordures (« épaules » du rift) se soulèvent et émergent pour des raisons thermiques (l'amincissement de la lithosphère fait remonter le manteau : son flux thermique réchauffe et allège les épaules en question). Ainsi apparaît le horst briançonnais (BR) qui restera émergé jusqu'à la fin du Jurassique moyen. Ce horst traduit la dislocation des deux marges du rift en blocs juxtaposés qui, soulevés ou abaissés, vont commander désormais la paléogéographie du futur domaine alpin.
Fig. 1 | Nouvelle fenêtre contenant toutes les figures |
Cette interprétation se base sur une comparaison avec les structures des rifts actuels. On peut la considérer comme l'un des grands succès dans l'application des idées nouvelles.
La comparaison avec les structures actuelles permet de constater que les failles distensives en question, plus ou moins redressées en surface, s'approchent de l'horizontale en profondeur (fig. 2). Elles sont donc concaves vers la surface (failles dites listriques). Nous verrons l'importance de cette disposition au moment du plissement alpin. Par ailleurs, vues en plan, ces failles sont généralement parallèles aux bordures du rift.
Fig. 2 | Nouvelle fenêtre contenant toutes les figures |
Les blocs faillés liasiques ont été très déformés par le plissement alpin sur les bordures immédiates du rift, futures zones internes, mais ils se retrouvent aussi dans l'actuelle zone externe, notamment dans les massifs cristallins externes (fig.3) où, moins déformés, ils permettent de bien visualiser le phénomène à ses débuts, et de connaître l'orientation de l'ancien rift, soit SW-NE (direction parfois dite « cévenole »).
Fig.
3 (d'après Lemoine et al., retouchée) voir sur le même sujet l'interprétation alternative de M.GIDON |
Nouvelle fenêtre contenant toutes les figures |
Certains auteurs (J.Debelmas, M.Lemoine) envisagent en outre l'existence d'accidents transverses au rift, donc NW-SE, dont un bon exemple serait donné par l'accident Pelvoux-Argentera, probablement d'origine hercynienne (les synclinaux permo-houillers de ces deux massifs montrent une direction paléomagnétique identique).
En effet la paléogéographie liasique du futur domaine alpin est différente de part et d'autre de cette ligne. A l'W, on a un bassin de subsidence triangulaire qui, aux approches de l'accident en question, est affecté de hauts fonds NW-SE. A l'E, au contraire, les blocs se disposent perpendiculairement à l'accident (fig. 4), comme le horst briançonnais, émergé, et un rift, dit valaisan, encore modeste mais que nous retrouverons au Crétacé.
Fig. 4 | Nouvelle fenêtre contenant toutes les figures |
La ligne Pelvoux-Argentera est donc une discontinuité majeure qui va continuer à jouer lors de l'ouverture de l'océan téthysien, au Jurassique supérieur, d'où son nom de « transformante des Alpes Occidentales » (on appelle transformante toute faille liée à l'expansion océanique).
D'autres zones transformantes sont probables plus à l'Est (Alpes centrales, Grisons) (voir fig. 7). Elles séparent en effet des tronçons de zones internes de structure brusquement différente.
A la fin du Jurassique moyen, le sillon océanique téthysien atteint le futur domaine alpin et la croûte océanique apparaît dans le fond du sillon piémontais (voir fig. 1), délimitant ainsi deux marges continentales, l'une dite européenne, l'autre apulienne (ou adriatique, sudalpine, insubrienne, suivant les auteurs). La fissure crustale ainsi apparue va connaître une expansion océanique avec dorsale pendant le Jurassique supérieur-Crétacé inférieur. L'océan alpin (dit liguro-piémontais) aura alors atteint sa largeur maximum entre ses marges faillées.
L'existence de cet océan est attestée par celle de massifs d'ophiolites dessinant grossièrement l'arc alpin même s'il s'agit de nappes dont l'origine (la « racine ») n'est pas très nette, probablement la zone d'écailles séparant l'ensemble Grand Paradis-Mont Rose de la zone Sesia (fig. 5). Les péridotites de Lanzo restent discutées : manteau sous-océanique ou manteau sous-jacent à la marge continentale sud de l'océan (marge sudalpine).
Fig. 5 | Nouvelle fenêtre contenant toutes les figures |
Fig. 6 (d'après Lemoine et al.) | Nouvelle fenêtre contenant toutes les figures |
On parle souvent de « trilogie ophiolitique » (péridotites serpentinisées, gabbro, basaltes). Elle est bien visible au Chenaillet, près du col du Montgenèvre, mais ce massif est un cas exceptionnel (fig. 6). Le plus souvent, les ophiolites alpines sont seulement des péridotites serpentinisées qui n'ont exsudé que très peu de gabbros (sous forme de filons ou de poches locales) et encore moins de basaltes. Ces caractères sont ceux de dorsales à expansion lente (0,5 à 1, parfois 2 cm/an) fréquentes dans l'Atlantique. Dans les dorsales rapides, de type Pacifique, on a 2 à 3 km de basaltes sur 4 à 5 de gabbros, avec une vitesse d'expansion de 10 à 15 cm/an.
Au dessus des ophiolites alpines, viennent des sédiments
typiquement océaniques, comme des radiolarites. Les plus
anciens de ces sédiments, des radiolarites précisément,
ont donné des radiolaires de la limite Jurassique moyen-Jurassique
supérieur (-150 Ma).
L'expansion océanique se poursuit jusqu'à la fin
du Crétacé inférieur (-100 Ma), époque
à laquelle commence la subduction qui va faire disparaître
cet océan sous la marge sudalpine. Ce sont les Alpes orientales
qui permettent de l'affirmer car les premiers chevauchements de
cette marge (nappes austroalpines) débutent au Cénomanien
et les sédiments océaniques y montrent un détritisme
ophiolitique d'âge crétacé supérieur
traduisant la destruction du prisme d'accrétion et de son
matériel ophiolitique. L'expansion aura donc duré
50 Ma environ. Avec un taux de 0,5 à 2 cm/an, on obtient
un espace océanique de 250 à 1000 km de large. Ce
n'est pas un océan mais un golfe océanique, du type
du golfe d'Aden, c'est-à-dire une fissure crustale élargie.
L'élargissement du domaine océanique, quelle que
soit sa valeur réelle, entraîne que les marges bordières
échappent au flux thermique mantellique. Les blocs s'affaissent
et sont envahis par la mer, une mer profonde où se déposent
des vases calcaires pélagiques fines.
Si l'orientation primitive de l'océan alpin est connue (c'est celle du rift originel, SW-NE), sa forme reste inconnue car il faudrait pouvoir effacer le plissement alpin, c'est-à-dire dérouler les nappes, et tenir compte des décalages causés par le jeu des failles transformantes. Le schéma de la fig. 7 (d'après Lemoine et al. simplifiée) n'est donc qu'une hypothèse parmi bien d'autres.
Fig. 7 (d'après Lemoine et al., simplifiée) | Nouvelle fenêtre contenant toutes les figures |
Quoi qu'il en soit, la découverte et l'histoire de l'éphémère océan alpin représentent l'une des découvertes majeures de ces vingt dernières années.
Le Crétacé supérieur. C'est une
époque très importante de l'histoire alpine car
elle va manifester les conséquences d'un événement
majeur de la tectonique des plaques, l'ouverture de l'Atlantique.
Celle de l'Atlantique sud déplace l'Afrique vers
le N. L'espace océanique téthysien se réduit,
ce qui signifie que l'océan liguro-piémontais va
peu à peu se refermer par subduction.
Celle de l'Atlantique nord ouvre le golfe de Gascogne en
faisant coulisser l'Espagne par rapport au reste de l'Europe,
ce qui entraîne une fracturation du SE de la France et la
transformation du rift valaisan en golfe océanique.
Autrement dit, le Crétacé supérieur voit la fermeture d'un océan et la naissance d'un autre.
1 - La fin de l'océan liguro-piémontais.
Les sédiments néocrétacés de cet océan,
tout au moins ceux qui n'ont pas été définitivement
engloutis dans la subduction, ont été métamorphisés
lors du plissement alpin et ont donné les célèbres
Schistes lustrés, très monotones et donc
restés longtemps indéchiffrés. Ce n'est plus
le cas. La découverte de très rares microorganismes
a permis d'en établir la stratigraphie. Le Jurassique supérieur-Crétacé
inférieur reste très mince si bien que l'essentiel
de la formation est crétacé supérieur. Ce
sont des calcaires pélagiques, finement détritiques,
qui ont été datés du Cénomanien-Turonien-Sénonien
inférieur.
Le Sénonien supérieur n'a pas été
caractérisé paléontologiquement sauf sous
un faciès détritique et rythmique (alternances calcaires
et pélites, voire grès et pélites), le
flysch à helminthoïdes (du nom des pistes de reptation
d'un animal inconnu). L'origine sudalpine de son matériel
détritique montre qu'une bonne partie, sinon la totalité
de ce flysch, vient du voisinage de la marge de ce nom.
Ceci n'a rien d'étonnant car, à la fin du Crétacé,
cette marge s'était beaucoup rapprochée de la marge
européenne et ses produits d'érosion devaient envahir
tout l'espace océanique résiduel. En tout cas, la
position de ce flysch au sommet du remplissage sédimentaire
de l'océan moribond a facilité, peu après,
son décollement et son glissement en nappe indépendante.
La stratigraphie des Schistes lustrés est une des grandes découvertes de la dernière décennie.
La disparition de l'océan liguro-piémontais est classiquement considérée comme due à un phénomène de subduction. Reste à le confirmer par les deux critères du phénomène, le métamorphisme de haute pression-basse température (HP/BT) des termes engloutis (« subduits ») et l'arc volcanique calco-alcalin de la marge chevauchante.
1 - Métamorphisme HP/BT des produits subduits et,
notamment, des ophiolites qui sont transformées en éclogites
vers 40 à 80 km de profondeur. Cette condition a paru longtemps
remplie car les éclogites alpines donnaient des âges
crétacé supérieur. Or, à partir de
1996, le développement des méthodes radiométriques
montra que ces âges étaient erronés et que
ces éclogites étaient toutes éocènes
(entre 60 et 40 Ma, éocène inférieur
à moyen).
Les éclogites réellement crétacées
auraient définitivement disparues en profondeur mais, à
l'Eocène, elles auraient pu tirer vers la profondeur, la
croûte océanique contiguë à la marge
européenne. On peut cependant se demander si leur volume
et leur poids étaient suffisants, compte tenu de la modestie
de l'océan, pour lui faire atteindre des profondeurs de
40 à 80 km.
Malgré cette réserve, la première condition
peut être considérée comme remplie.
2 - Arc volcanique crétacé supérieur,
calco-alcalin. Cet arc manque totalement. De nombreuses explications
ont été données de cette absence, dont aucune
n'est convaincante (fig. 8) car les dispositions A et B ne sont
applicables qu 'aux Alpes orientales et les autres n'enfoncent
pas la croûte océanique à la profondeur suffisante
pour expliquer le métamorphisme de HP.
Ainsi, la subduction alpine, bien qu'admise par tous les auteurs,
pose un problème mal résolu mais représente
un des acquis les plus précieux des conceptions actuelles.
Fig. 8 | Nouvelle fenêtre contenant toutes les figures |
2 - La naissance de l'océan valaisan
Il n'intéresse que les Alpes suisses, d'où
son nom. Il se développe au Crétacé supérieur
à partir du petit rift qui marquait, depuis le Lias, la
limite des zones internes et externe. On ignore la largeur maximum
de ce miniocéan valaisan. En revanche son extension longitudinale
est assez grande car ses restes apparaissent dans les fenêtres
de l'Engadine et des Tauern, ouvertes par l'érosion à
travers les nappes austroalpines. Son caractère océanique
est déduit de la présence d'ophiolites, mais celles-ci
sont peu abondantes et les péridotites exceptionnelles.
Il n'était peut-être pas entièrement océanisé.
Un autre problème le concernant est la nature de ses
rapports avec le sillon nord-pyrénéen qui marque
bien le coulissage crétacé pyrénéen.
Aucune continuité n'existe entre eux, si ce n'est un réseau
de failles compliqué au travers du Languedoc et du bassin
subalpin.
Pourtant, des géologues suisses ont émis l'hypothèse
de cette continuité entre les deux fissures. Ce serait
le plissement alpin qui l'aurait refermée, sans en laisser
de traces.
Cette hypothèse a une conséquence immédiate,
à savoir que, au Crétacé supérieur,
la zone briançonnaise, ainsi que l'axe corso-sarde, appartiendraient
au bloc ibérique en mouvement, dont ils représenteraient
une apophyse nord (fig. 9).
Fig. 9 (en partie d'après Agard et Lemoine) | Nouvelle fenêtre contenant toutes les figures |
Ce schéma expliquerait que le Briançonnais ait
l'air de se terminer en pointe entre les deux hiatus océaniques
au niveau des Grisons (voir fig. 7). Mais il se heurte à
l'absence totale de traces d'un sillon continu des Pyrénées
au
Valais à travers le SE de la France. La fermeture totale
de ce sillon par la contraction alpine est difficile à
admettre vu le faible raccourcissement de ce domaine intermédiaire,
alors que dans les Pyrénées et les Alpes, où
le raccourcissement a été considérable, sillon
nord-pyrénéen et sillon valaisan ont persisté.
Le décrochement des Alpes occidentales, évoqué
précédemment, n'est pas non plus pris en compte.
Ces discussions montrent la fragilité de nos reconstitutions
paléogéographiques.
Comme l'océan liguropiémontais, le sillon océanisé valaisan disparaît probablement par subduction à la fin du Crétacé ou au tout début du Tertiaire, sans plus de preuves concrètes de ce mécanisme.
Ce schéma expliquerait que le Briançonnais ait l'air de se terminer en pointe entre les deux hiatus océaniques au niveau des Grisons (voir fig. 7). Mais il se heurte à l'absence totale de traces d'un sillon continu des Pyrénées au Valais à travers le SE de la France, ce qui est difficile à admettre vu le faible raccourcissement de ce domaine intermédiaire, alors que dans les Pyrénées et les Alpes, où le raccourcissement a été considérable, sillon nord-pyrénéen et sillon valaisan sont toujours déchiffrables. Le décrochement des Alpes occidentales, évoqué précédemment, n'est pas non plus pris en compte.
Ces discussions montrent la fragilité de nos reconstitutions paléogéographiques.
Comme l'océan liguropiémontais, le sillon océanisé valaisan disparaît probablement par subduction à la fin du Crétacé ou au tout début du Tertiaire, sans plus de preuves concrètes de ce mécanisme.
La remontée de l'Afrique vers le N, poussant devant
elle le microcontinent apulien, provoque la fermeture du domaine
océanique et la collision des marges qui vont devenir un
empilement d'écailles ou de nappes à matériel
océanique(donc à socle ophiolitique) ou appartenant
aux deux marges en présence (donc à socle gneissique).
Le rapprochement des deux marges a d'abord provoqué, au
Crétacé supérieur, la formation d'un «
prisme d'accrétion océanique » constitué
de sédiments océaniques raclés par le front
de la marge sudalpine et poussés jusqu'au contact de la
marge opposée. Des copeaux de croûte océanique
raclés (« scalpés » disent certains
auteurs) s'ajoutent aux sédiments ainsi transportés.
La suite de l'évolution varie suivant les transversales.
Dans les Alpes occidentales, lors de la collision, la tranche
la plus superficielle de ce prisme océanique peut être
charriée sur la marge européenne et échapper
ainsi au métamorphisme (comme le flysch à helminthoïddes
ou l'écaille ophiolitique du Chenaillet). Quant aux parties
plus profondes, elles s'écrasent contre cette marge européenne,
sont clivées avec elle, l'ensemble formant un « prisme
d'accrétion orogénique » où se développera
un métamorphisme lié à l'échauffement
et à la pression lithostatique (croûte épaissie)
ou tectonique.
Dans les Alpes orientales, le processus est différent en
ce sens que le prisme orogénique est recouvert par la marge
sudalpine chevauchante (nappes austroalpines).
Le but de cet exposé n'est pas de décrire les structures alpine des diverses transversales mais d'attirer l'attention sur quelques aspects de l'évolution de la chaîne, soit qu'ils illustrent bien les idées actuelles, soit qu'ils posent problèmes.
L'inversion tectonique
C'est le rejeu en failles de chevauchement (failles «
inverses ») des failles listriques limitant les blocs basculés
de la marge.
Dans les zones externes, elle a parfois été invoquée pour les petits blocs des massifs cristallins, peu déformés. Mais M. Gidon (2001, voir notamment le chapitre 3.3) a montré que la compression de ces blocs aboutit à un simple serrage, voire à des cisaillements superficiels (fig. 10) qui n'ont rien à voir avec les anciennes failles listriques.
Fig. 10 | Nouvelle fenêtre contenant toutes les figures |
Dans les zones internes, l'application de l'inversion à la genèse des nappes paraît plus justifiée car les failles listriques, s'horizontalisant en profondeur, peuvent très bien se terminer dans des niveaux de décollement variés (des niveaux de gypse par ex.) et provoquer ainsi le départ de nappes de constitution différentes. Sur la fig.11, on a pris l'exemple des nappes briançonnaises entre le col du Galibier et la région de Briançon- Cervières.
Fig. 11 | Nouvelle fenêtre contenant toutes les figures |
Malgré son caractère hypothétique, cette notion d'inversion tectonique des failles listriques a été un grand succès et son application aux Alpes s'est révélée particulièrement fructueuse en de nombreux points. Mais il ne faudrait pas en déduire que toutes les failles synsédimentaires anciennes ont automatiquement joué en failles inverses. On a évoqué le cas des massifs cristallins externes mais on connaît aussi de nombreux exemples de structures distensives jurassiques ou crétacées restées intactes après le plissement alpin dans les zones internes.
Les relations tectonique-métamorphisme.
On a dit précédemment que le prisme océanique
et les écailles des marges, intriqués l'un dans
l'autre lors de la collision, ont été métamorphisés
ensemble. Ces actions métamorphiques se sont produites
pendant tout l'Eocène, c'est-à-dire qu'elles ont
été contemporaines de la fin de la subduction et
du début de la collision.
Elles sont complexes car elles se font en deux temps :
1 - d'abord un métamorphisme de haute pression-basse
température (HP/BT) donnant des éclogites
pour les ophiolites et des schistes à glaucophane, ou schistes
bleus pour les anciennes roches sédimentaires contenant
du potassium. Il est daté de 60 à 40 Ma et affecte
les zones les plus internes (océanique, piémontaise
et briançonnaise interne).
2 - puis un métamorphisme de pression moindre et de température
un peu plus élevée, donnant un minéral vert,
la chlorite (faciès dit « schistes verts »).
Cette phase est datée de 38 à 35 Ma et affecte pratiquement
toutes les zones internes, y compris celles à schistes
bleus dans lesquelles elle efface plus ou moins les minéraux
bleus.
Ce sont les premiers faciès, ceux de HP/BT, qui posent
problème à cause de la profondeur exigée
pour leur métamorphisme. En effet des pressions aussi hautes
paraissent incompatibles avec le seul écrasement des écailles
impliquées. Elles ne peuvent être expliquées
que par l'enfoncement dans la croûte terrestre, impliquant
la poursuite du mouvement subductif, c'est-à-dire que les
unités correspondantes, bien qu'appartenant à la
marge européenne, devaient être tractées
elles aussi en profondeur par l'ancienne croûte océanique
contiguë, déjà subduite, comme on l'a dit
plus haut. Et cet enfoncement est considérable : 40 à
60 km pour le glaucophane ou les éclogites, 100 km quand
apparaît une variété de quartz, la coésite.
Est-ce possible mécaniquement : la croûte continentale
légère peut-elle s'enfoncer autant dans un milieu
de forte densité alors qu'elle est tirée par une
croûte océanique modeste en volume ?
Et a-t-on le temps, puisque du matériel métamorphisé
en schistes bleus à 40 Ma doit remonter jusque vers
-15 à 20 km pour subir le métamorphisme à
schistes verts, 2 ou 3 Ma après, cette remontée
rapide étant d'ailleurs nécessaire pour que le glaucophane,
ainsi réchauffé, ne soit pas effacé.
L'enfoncement est classiquement expliqué par la poursuite du mouvement subductif. Sa vitesse serait donc celle de l'expansion océanique (0,5 à 2 cm/an) si elle n'est pas perturbée par la pression tectonique liée à la collision.
La remontée est plus difficile à chiffrer.
Les courbes de refroidissement des minéraux de métamorphisme
de HP donnent des chiffres de l'ordre de 0,5 à 5 cm/an.
La remontée peut donc bien être plus rapide que la
descente. Ces chiffres appliqués aux chemins parcourus
donnent des résultats plausibles car 1cm/an représente
10km/Ma.
Pour expliquer la remontée, on invoque généralement
des raisons gravitaires, c'est-à-dire la poussée
d'Archimède, car les gneiss et les sédiments associés
sont des roches légères qui ont tendance à
remonter dès que la traction qui les affecte diminue ou
cesse, et ce d'autant plus qu'elles se sont enfoncées dans
un milieu très dense et que la pression latérale
tend aussi à les chasser vers la surface.
Une explication plus originale est celle de l'underplating,
c'est-à-dire la mise en place successive de lames superficielles,
froides, issues du front de la chaîne, qui s'enfilent sous
les unités plus internes. Elles forment un écran
thermique ralentissant la montée des isogéothermes,
d'une part, et soulèvent la pile des unités déjà
charriées en la rapprochant de la surface où règne
l'érosion, d'autre part, deux faits qui favorisent un refroidissement
rapide. C'est ce que montre le massif de Dora Maira qui est fait
de plusieurs unités superposées,
métamorphisées en faciès de HP, surmontant
une nappe d'origine pennique frontale à la base (fenêtre
de Pignerol où apparaîtrait la zone briançonnaise,
fig. 12). Parmi les unités sus-jacentes, piémontaises
ou océaniques, l'une contient de la coésite. Elle
serait donc remontée d'une profondeur de l'ordre de 100
km alors que celle de Pignerol n'est jamais allée aussi
bas pour la soulever. L'unité à coésite
était donc déjà remontée quand l'unité
briançonnais s'est glissée sous elle, ce qui confirme
que cette remontée a été rapide.
Ces considérations montrent que la genèse du prisme d'accrétion orogénique met en jeu des phénomènes mécaniques complexes et encore discutés. Néanmoins, inspirées des idées de la tectonique globale, elles représentent un grand progrès dans l'interprétation du plissement alpin, ne serait-ce que par les contraintes qu'elles imposent aux schémas proposés.
Fig. 12 (d'après A.Michard et al., Tectonophysics, 1993, simplifiée) | Nouvelle fenêtre contenant toutes les figures |
La structure de la croûte et du manteau sous les Alpes.
C'est l'une des préoccupations actuelles des tectoniciens et géophysiciens alpins. Il est encore un peu tôt pour que s'en dégagent des idées nettes, aussi je me contenterai d'évoquer ce que nous a appris à ce sujet le profil ECORS-ALPES réalisé en 1986-1987 entre Annecy et Turin et réactualisé récemment (fig.13)
Fig.
13 Fig. 13 (plus agrandie) |
Nouvelle fenêtre contenant toutes les figures |
Cette coupe rassemble des informations tirées des études sismiques et gravimétriques. Elle confirme que, sur la transversale des Alpes franco-italiennes, le manteau apulien (=insubrien) se rapproche bien de la surface, provoquant une anomalie gravimétrique, la célèbre anomalie d'Ivrée, ce qui n'a rien d'étonnant puisque ce manteau affleure localement, au N de Turin, dans le massif péridotitique de Lanzo. Mais ce qui est plus intéressant, c'est que la croûte inférieure européenne prend une importance insoupçonnée comme si elle était décollée, raclée et plissée(ou écaillée ?) par la poussée du manteau insubrien, tandis que la croûte supérieure se clive en donnant des structures que l'on a du mal à rattacher aux unités classiques connues en surface. Si l'on ajoute que la structure profonde de Belledonne reste énigmatique faute de réflecteurs (ils sont verticaux et ne reflètent donc rien), on comprendra que les nombreuses interprétations publiées restent très hypothétiques (fig.13D).
Pour ce qui est du front pennique, deux accidents très
nets sont diversement interprétés : soit un rejeu
tardif des anciens plans de chevauchement SB+Val, soit un affaissement
des zones internes glissant sur le bord Est de Belledonne en cours
de soulèvement.
Cette orientation des recherches sur le comportement de la croûte
et du manteau supérieur est indispensable à la connaissance
du phénomène de collision lithosphérique,
c'est-à-dire sur une épaisseur de l'ordre de la
centaine de km et non plus seulement d'une dizaine comme on le
faisait jusqu'alors.
Le soulèvement des Alpes
On peut le mesurer grâce au G.P.S. (Global Positionment
System par satellite) qui donne, pour les zones en soulèvement,
comme Belledonne et les chaînes subalpines du N, des chiffres
de 1 à 2 mm/an au maximum, chiffre si élevé
(1 à 2 km par Ma !) qu'ils ne peuvent être que des
mouvements temporaires, forcément récents. Mais
ces zones en soulèvement apparaissent presque comme une
exception. La plus grande partie des zones internes seraient actuellement
en cours d'affaissement, mouvement qui, en fait, a commencé
dès le début du Miocène dans le bassin du
Pô et gagne peu à peu vers l'extérieur de
la chaîne. L'association de cet affaissement et de la collision
insubrienne, toujours en cours, reste un phénomène
encore inexpliqué.
Pour les soulèvements tertiaires, on utilise les courbes
de refroidissement des minéraux de métamorphisme,
déjà évoquée (0,5 à 5 cm/an).
On a pu voir ainsi que les zones internes franco-italiennes, en
cours d'affaissement comme on vient de le dire, avaient connu
une surrection rapide à l'Oligocène. Il n'existe
donc pas, pour les soulèvements, de vitesse uniforme, mais
des crises locales et temporaires.
Pour ce qui est du mécanisme du soulèvement, on invoque toujours l'isostasie, c'est à dire la poussée d'Archimède géologique qui joue dès qu'il y a épaississement de la croûte. Mais il s'y ajoute sans doute d'autres processus , notamment le rôle du flux de chaleur mantellique sous-orogénique, qui allège la croûte sus-jacente et provoque la fusion des parties profondes de cette croûte en donnant des magmas granodioritiques, relativement légers, qui remontent parfois jusqu'à la surface (Adamello, val Bregaglia, Traverselle).
Conclusion. Contrairement à ce que pourraient laisser supposer les nombreuse synthèses alpines des deux dernières décennies, il y a encore beaucoup à faire dans les Alpes. Mais on aura remarqué combien les recherches actuelles essaient de se baser sur des chiffres (longueur des déplacements, évaluation des P/T pour les actions crustales profondes, vitesse des phénomènes, etc.) et s'intéressent de plus en plus aux phénomènes profonds. Ce qui signifie que les recherches à venir ne seront plus celles que l'on a poursuivies pendant 150 ans. C'est dans le domaine des nouvelles techniques telles que la géophysique, la géochimie, la géochronologie ou le paléomagnétisme, que l'on peut attendre du nouveau. La géologie de surface, classique, n'est cependant pas morte. Les nouvelles hypothèses à venir obligeront certainement à aller revoir le terrain pour en trouver les conséquences ou les confirmations en surface.
Quelques ouvrages de base :
J. Debelmas 1999. La géologie des Alpes, in Les Alpes (11 co-auteurs), La Bibliothèque du Naturaliste, Delachaux et Niestlé, (p. 9-65).
M. Lemoine, P-Ch. de Graciansky, P. Tricart 2000. De l'océan à la chaîne de montagnes, tectonique de plaques dans les Alpes. Coll. Géosciences, Soc.géol. de France et Gordon & Breach Sc. publ., 207 p.
Ph. Agard et M. Lemoine 2003. Visages des Alpes : structure et évolution géodynamique. Commission de la Carte géologique du Monde, Maison de la Géologie, 77 rue Cl. Bernard, 75005 Paris, 48 p.
Voir aussi le site internet de M. Gidon sur la Géologie des Alpes (mises à jour périodiques) : http://www.geol-alp.com/