La tectonique du revers nord-oriental de l'Argentera

(d'après des documents extraits de la publication n° 059, réorganisés et retouchés)

Cette page cherche à résumer les traits majeurs concernant l'ensemble de ce secteur (sans rentrer dans les détails locaux), afin de donner une vue synthétique de la déformation qui l'a affectée et de préciser sa place dans le cadre général des Alpes occidentales françaises.
On pourra au préalable consulter l'aperçu structural général sur la zone briançonnaise méridionale

A) Disposition géométrique et relations entre les unités tectoniques :

Un des traits frappants de ce secteur est le fait que les unités imbriquées sont enroulées ensemble par un pli rétroverse qui affecte l'autochtone de l'Argentera et qu'elle sont en outre sectionnées par des failles qui semblent associées à ce plissement.

Le second trait marquant, qui apparaît plus clairement ici qu'au nord-ouest de la fontière franco-italienne, est le biseautage que subissent à tour de rôle les unités superposées, vers le sud-ouest, en atteignant la marge nord-orientale de l'Argentera. Cela se manifeste par le fait que, d'est en ouest, ce sont des unités de plus en plus élevées de l'édifice qui viennent en contact avec l'autochtone, puis avec la nappe du Parpaillon (flysch de l'Embrunais) qui le recouvre directement. Il est donc nécessaire de considérer que cette marge nord-orientale de l'Argentera correspond au passage d'un accident, postérieur aux charriages, qui a sectionné la pile des nappes. Le jeu de cet accident est antérieur au rétrocharriage puisqu'il est enroulé par le pli rétroverse qui affecte l'autochtone.


Tectonogramme schématique des unités briançonnaises.
Ce schéma est destiné à mettre en valeur le rôle des plans de cisaillement longitudinaux (postérieurement tordus) dans l'édification de la structure actuelle, selon l'interprétation ici proposée.
Du SW au NE les nappes superposées sont abaissées par les fractures (représentées en grisé) ; les plis de ces nappes étaient sans doute partiellement formés avant le cisaillement, mais ils ont été accentués et renversés au NNE au cours de la phase qui a tordu les plans de cassure.
La perspective correspond à une vue du SE vers le NW.
Le schéma représente les régions situées immédiatement au NNE de celles schématisées par la figure 13. Les unités calcaires ont reçu chacune un figuré différent, mais les unités siliceuses ont le même figuré ; les espaces « vides » entre unités superposées correspondent aux coussinets gypseux ; enfin les unités subbriançonnaises n'ont pas été représentées, non plus que l'Autochtone, afin de clarifier le schéma (la partie manquante correspond à celle représentée dans la figure suivante).



Tectonogramme schématique des unités subbriançonnaises, montrant leurs rapports avec l'autochtone.
Les deux « plans » de cisaillement majeurs (Pl et P2) qui limitent vers le SW et le NNE l'extension des unités subbriançonnaises sont représentés (en grisé) dans leur attitude actuelle, c'est-à-dire tordus, à peu près de la même façon que l'Autochtone lui-même.
Le schéma ne tient pas compte des structures de détail et ne donne qu'une représentation de ce qui paraît essentiel dans ce dispositif, c'est-à-dire le sectionnement successif, d'E en W, d'unités de plus en plus élevées, le long du plan Pl, du fait de leur plongement axial vers l'W, plus accentué que celui de l'Autochtone.
La perspective correspond à une vue du SE vers le NW.


B) Successions des événements tectoniques.

Les faits recueillis dans le secteur de Bersezio (haute vallée de la Stura) portent à admettre la succession d'étapes tectoniques suivante :

Fracturation synsédimentaire, remontant au moins au Crétacé supérieur (failles du Monte Omo).

Plissement, dans les unités subbriançonnaises au moins. Les plis sont fortement déversés (vers l'W dans le système de référentiel actuel). Certains indices amènent à penser que cette phase pourrait être antérieure au Lutétien-Priabonien (discordance du flysch noir du Giordano ; poudingues de la Piconiera) ou, par places, même, antérieure au Néocrétacé (absence de ce terrain dans les synclinaux du Monte Giordano).

Charriage des unités briançonnaises (et sans doute subbriançonnaises), postérieurement au Priabonien. Le sens de déplacement de ces nappes n'est pas obligatoirement celui indiqué par le déversement de leurs plis puisqu'il est probable que ce plissement soit antérieur.

Plissement d'ensemble dessinant des anticlinaux et synclinaux de nappes peu déversés et orientés suivant l'allongement actuel de la zone (compression NE-SW).

Cisaillement longitudinal (par rapport à l'allongement actuel des Alpes) des diverses unités allochtones : les fractures associent sans doute un rejet coulissant dextre à un soulèvement du compartiment méridional. Elles recoupent les plis de l'étape précédente, aussi bien que les surfaces de charriage.

Nouvelle compression, suivant une direction proche ici de N-S, plissant ensemble Allochtone et Autochtone, ainsi que les surfaces de cisaillement longitudinal ; l'existence de zones élevées à l'emplacement des massifs cristallins externes explique l'apparition d'un rétrodéversement (vers le NNE ici).

Fracturation suivant un réseau de failles associées affectant principalement l'Autochtone et résultant d'un serrage proche de la direction N-S : il peut s'agir de la réaction propre du socle par rapport à la compression de la phase n° 6, mais il ne paraît pas possible d'exclure que ces dislocations se soient produites successivement.

Derniers mouvements tangentiels, modestes, en direction de l'W ou du SW, se manifestant par la déformation des plans de cassure de la phase 7. Il faut leur rapporter la formation des écailles cristallines observables le long de la cassure de Bersezio (décrites par C. STURANI [20], ré-étudiées par J. VERNET [22]), où elles s'associent à un rabotage basal du sédimentaire autochtone : cette localisation indique clairement qu'elles résultent d'un mouvement différentiel couverture/socle, mouvement qui a arraché des éclats à la lèvre cristalline de la faille qui jouait le rôle d'une lame de rabot : ce mouvement est donc également postérieur à la formation de la faille de Bersezio.
En outre les chevauchements tardifs qui renversent les unités briançonnaises sur le Flysch à Helminthoïdes, le chevauchement du Colle del Mulo et des derniers mouvements vers le SW des gypses de la Margherina peuvent être également rapportés avec vraisemblance à cette phase.

Deux déformations ne peuvent être placées avec certitude dans cette succession d'événements tectoniques ; ce sont :

-la mise en place de la nappe de Flysch à Helminthoïdes du Parpaillon : elle est très vraisemblablement postérieure à la phase 5 et ne peut guère dater de la phase 6 ( mouvements inverses) : il est séduisant d'imaginer que le mouvement de cette nappe est la cause des mouvements tangentiels discrets de la phase 8 ; l'arrachement des blocs klippes briançonnais et subbriançonnais, traîné à la base de la nappe du Parpaillon, ne représenterait dès lors que l'exagération des mouvements plus modestes enregistrés par les unités étudiées ici (le déroulement chronologique proposé ici et l'interprétation de : la place du charriage de la nappe du Parpaillon me paraissent remarquablement en accord avec les conceptions qui découlent des études de C. KERCKHOVE [ 15]) ;

-le changement de direction des structures longitudinales, qui atteint près de 30° d'W en E dans la région ici étudiée, semble attribuable à une torsion posthume de ces plis et fractures ; elle affecte aussi bien les structures des phases 4 et 5, mais ne semble pas se ressentir dans le tracé des accidents de la phase 7 (si l'on en juge par la rectitude d'ensemble des faisceaux de failles de Bersezio et du Ruburent). En ce cas cette torsion serait contemporaine du rétrodéversement (phase 6). Ce raisonnement paraît toutefois d'une validité contestable, car à l'échelle de l'ensemble de l'Arc alpin, les cassures longitudinales dextres ont une direction qui varie (suivant la transversale considérée) de la même façon que celle de l'Arc. De sorte que l'on peut se demander si ces cassures (qui se poursuivent dans le socle autochtone) n'ont pas subi un pivotement, par tronçons successifs, en même temps que des panneaux de socle au lieu d'une torsion progressive, ou encore si leur formation n'est pas synchrone de celle de l'Arc lui-même.

C) Données apportées par l'étude de la haute Stura, concernant l'origine de l'arc des Alpes occidentales.

L'idée que l'arc des Alpes occidentales est une disposition secondairement acquise a obtenu ces dernières années la faveur de nombreux auteurs. Certains n'hésitent pas à supposer l'existence d'importants décrochements sénestres, expliquant le décalage (vers l'W) du Briançonnais sensu stricto par rapport au Briançonnais ligure [16] et empruntant sensiblement comme tracé celui de l'allongement du domaine étudié ici.
Il est certain que la torsion progressive des structures (évoquée ci-dessus) et leur biseautage longitudinal « en sifflet » du NW vers le SE ( qui contribue au rétrécissement des affleurements de la zone briançonnaise - subbriançonnaise) peuvent apparaître comme les effets de l'étirement d'un crochon dans un tel mouvement sénestre. Toutefois il faut bien souligner qu'aucun accident sénestre de direction NW-SE n'a été mis en évidence. Au contraire, toutes les indications de terrain portent à attribuer un sens dextre aux accidents de telle orientation, quelle que soit la phase à laquelle ils se rattachent : en fait il est plus probable qu'il y a effectivement eu une torsion secondaire de l'Arc, mais qu'elle a été obtenue par le seul pivotement des lignes tectoniques (accompagné d'un serrage E-W qui aurait créé l'essentiel des plis longitudinaux actuels et des chevauchements vers l'W), mais sans formation d'accidents cassants nouveaux. Il est difficile de dire, là encore, si ce sont des structures rétrodéversées de la phase 6 ou celles, déversées vers l'W, de la phase 8 (ou encore l'une et l'autre, à des étapes successives) qui résultent de cet effet de torsion vers 1'W. De toute façon ce sont des déformations relativement tardives : par comparaison avec les étapes de déformation dans les zones externes (environs de Grenoble [2, 9], Dévoluy [l0-ll], arc de Castellane [12], etc.), j'ai tendance à croire que le même déplacement vers l'W (responsable de la torsion) serait également responsable dans ces régions des déformations miopliocènes (les plus tardives également) qui se traduisent principalement par les chevauchements des « Écailles de Digne ».
A vrai dire on peut se demander si les mouvements tectoniques enregistrés antérieurement, dans notre secteur, n'indiquent pas l'influence prédominante d'un déplacement dextre des zones internes par rapport aux zones externes, dans le cadre d'un serrage N-S : c'est en effet ce que semblent traduire les déformations des phases 7, 6, 5 et 4 ; il n'est pas jusqu'aux mouvements de la phase 3 qui, pour être de sens différent, pourraient avoir eu une direction méridienne analogue : en effet, le festonnement en nappes qui se recouvrent les unes les autres, d'une extrémité à l'autre de la bande actuelle d'affleurement des zones briançonnaises et subbriançonnaises, ne trouve pas une explication suffisante dans les effets combinés de l'érosion et du plongement axial ; aucune transversale ne montre la succession complète des unités inventoriables ; par contre chaque unité calcaire passe, du S vers le N, d'une position élevée à une position inférieure dans l'édifice visible, avant de disparaître, comme laminée entre les unités plus élevées qu'elle et leur soubassement siliceux : en d'autres termes cette disposition semble traduire une imbrication d'unités les unes sur les autres par un chevauchement du N vers le S. Cette conclusion n'est pas contradictoire avec l'orientation des plis observables, étant donné qu'ils semblent soit antérieurs, soit postérieurs au charriage (en outre on notera, en ce qui concerne les plis anciens des unités subbriançonnaises, que si un pivotement sénestre de la région est réellement intervenu depuis leur formation, ils devaient être initialement déversés vers le NW ou même vers le N [suivant l'ampleur du pivotement]). Elle suppose l'intervention de mouvements (principalement post-priaboniens) dont la direction, sensiblement N-S, serait en accord avec le déplacement précoce, du S vers le N, des zones internes par rapport aux zones externes qui a été suggéré pour la première fois par J . GOGUEL [ l 3 ] .
Cette mise en place des nappes briançonnaises par chevauchement du N vers le S ne constitue toutefois qu'une hypothèse ; mais elle méritera d'être examinée à la lumière des autres faits significatifs qui pourront être recueillis à ce sujet dans l'ensemble de la zone briançonnaise.
En définitive il s'avère, ici encore, que les données structurales paraissent s'accorder assez bien avec la notion d'un changement des directions de serrage et de déplacements ; celles-ci, sensiblement N-S au Crétacé supérieur et au Paléogène, seraient devenues E-W à une époque plus tardive (et de cette interférence de directions aurait résulté la torsion de l'Arc des Alpes occidentales).


voir aussi Notice explicative de la carte géologique à 1/50.000°, feuille Larche
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Dernières retouches apportées à cette page le 16/04/16