Les couches du Crétacé inférieur aux
abords de Chambéry
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Au sud du Mont Revard le versant ouest du chaînon frontal des Bauges montre une belle coupe naturelle, qui tranche la pile de couches de la série stratigraphique jurassico - crétacée des Bauges. La succession du Berriasien-Valanginien y forme notamment les escarpements boisés du socle de la montagne du Nivolet.
De l'autre côté de la cluse de Chambéry le chaînon du Mont Joigny montre des affleurements symétriques de la succession du Berriasien-Valanginien, qui sont bien mis à nu, en amont de Montagnole, dans les pentes du Pas de la Fosse et surtout dans les ravins de la face nord de La Gorgeat.
L'interprétation actuelle, dans ces deux secteurs, diffère sensiblement de celles qui ont successivement été données par les auteurs qui y ont examiné, au cours du XXe siécle, la succession de couches du Crétacé inférieur.
Dans les deux cas la succession des couches s'y caractérise, comme plus au sud dans les chaînons de la Chartreuse médiane et occidentale, par l'absence des marnes de Narbonne et par l'invasion vers le bas des faciès des calcaires du Fontanil, qui y forment plusieurs barres rocheuses étagées dans la pente (la succession y ressemble finalement beaucoup à celle de la coupe du Fontanil, surtout au Nivolet).
A/ Le cas du Nivolet
Au début du XXe siècle Joseph Révil avait reconnu dans les pentes du Nivolet cette alternance de faciès. Il avait alors considéré que chaque niveau de calcaires bioclastiques appartenait au Valanginien, car avait le faciès, "caractéristique" de cet âge (celui des calcaires du Fontanil). Il imagina donc, d'une façon assez abstraite, un système de plis couchés (il éprouva d'ailleurs une certaine peine à dessiner les raccords entre ces plis supposés et n'y arriva qu'au prix de quelques maladresses graphiques...).
Albert Pachoud montra dans les années 1950 que le niveau bioclastique inférieur, dit des "calcaires grossiers de Montagnole" s'intercalait stratigraphiquement dans les calcaires à ciment du Berriasien inférieur, exploités alors, à l'est de Montagnole, dans les carrières Chiron. Puis Paul Gidon et André Collignon récoltèrent dans le troisième niveau bioclastique, sous le Pas du Croc, une belle faune d'ammonites du Berriasien supérieur. Dès lors la paléontologie ne justifiait plus d'envisager des redoublements tectoniques dans la succession du Nivolet.
B/ Le cas du Joigny
Au début des années 1950 les recherches de Paul Gidon dans le chaînon du Joigny, lui montrèrent l'existence de répétitions, finalement analogues à celles du Nivolet. En effet des niveaux calcaires plus ou moins bioclastiques, du type de ceux connus désormais dans le Berriasien de la partie inférieure de la coupe du Nivolet, y alternent avec des marnes (mais le plus souvent les faciès y sont globalement moins bioclastiques, de sorte que l'analogie lui échappa).
Le principal repère utilisé était le "gros banc du Pas de la Fosse" (qui forme une falaise presque continue dans le versant nord de la montagne et qui était connu de longue date pour ses ammonito-faunes berriasiennes. Quant aux marnes elles furent alors attribuées au Valanginien ("marnes de Narbonne"), sur la base de leur faciès et de rares récoltes d'ammonites (en fait peu probantes et mal déterminées), ainsi qu'en raison de la continuité de plusieurs de leurs niveaux avec les marnes du col du Granier (attribuées très justement à ce niveau).
Paul Gidon cartographia soigneusement ces deux types de niveaux (sur les fonds topographiques au 1/20.000° en cours de parution). Ce faisant il constata leur terminaison latérale en biseau et le fait que, en plusieurs points, le changement de faciès s'y produisait souvent brutalement, avec des limites nettes, constituées par des surfaces obliques au couches ondulées et striées. Il en déduisit qu'il s'agissait là de surfaces de failles à faible pendage (failles "inverses") et imagina alors un dispositif d'écailles imbriquées (P.GIDON, 1951 et 1968).
Une dizaine d'années après, je
fus amené à reprendre l'étude du secteur
septentrional de la Chartreuse, pour le lever de la carte géologique
(feuille Montmélian). J'ai alors eu la chance de pouvoir
utiliser deux nouveaux outils de stratigraphie paléontologique
qui étaient récemment apparus :
- une nouvelle zonation des successions de faunes d'ammonites,
basée sur une analyse détaillée du stratotype
de Berrias (par G. Le Hégarat).
- une nouvelle zonation des successions de microfaunes de calpionelles
du Berriasien (par J. Remane).
J'ai donc parcouru les divers ravins de la
montagne, en y récoltant quelques centaines d'échantillons
que j'ai soumis à ces paléontologistes, je suis
arrivé à trois conclusions :
- il n'y a là qu'une série stratigraphique continue
et normale, chaque strate étant toujours plus récente
que celle qu'elle recouvre. Les imbrications de Valanginien avec
du Berriasien qui y avaient été admises sont illusoires
(elles étaient basées sur de mauvaises déterminations
et de mauvaises attributions stratigraphiques des ammonites précédemment
récoltées). La base des marnes de Narbonne du col
du Granier est enfin d'un âge correspondant au passage du
Berriasien au Valanginien (et non Valanginien franc) ;
- les hiatus observés par Paul Gidon dans la succession
sont des surfaces de corrosions par les courants sous-marins et
fossilisées par des arrivée brutales ("crachées")
de sables bioclastiques, en d'autre termes des bases de turbidites
(on y reconnaît d'ailleurs les figures caractéristiques,
flute-casts et autres) ;
- l'épaisseur et le nombre des crachées bioclastiques
s'accroît d'est en ouest, ce qui s'accorde avec un interprétation
selon laquelle il s'agirait de coulées sableuses progressant
depuis le rebord externe de la plateforme jurassienne, située
plus à l'ouest, vers la base du talus qui correspond à
la zone subalpine.
On trouvera ci-après deux schémas, publiés en 1966, illustrant l'analyse stratigraphique de la succession berriasienne du secteur du Mont Joigny ainsi que l'interprétation paléogéographique proposée alors (pour des données complémentaires plus précises concernant les documents paléontologiques et la description des coupes de référence on se reportera à la publication n° 039):
Ce bref résumé montre en conclusion
:
- l'erreur fondamentale que constitue la confusion entre les formations
lithologiques et les étages à base paléontologiques
;
- que la paléontologie est un important outil pour l'interprétation
tectonique ;
- que les interprétations et même les observations
sont sous la dépendance étroite des idées
et des connaissances de l'époque et sensibles aux modes
successives ...
Remarque annexe sur la structure des environs du col du Granier :
À l'ouest du col du Granier, l'extrémité
sud-est de la crête du Joigny est coupée en biais
par la faille du Joigny (voir cliché
plus haut dans la page).
C'est une cassure assez importante, que l'on suit bien vers le
sud, où elle traverse la vallée du Cozon aux abords
nord d'Épernay ; vers le nord son tracé est plus
difficile à localiser, en raison du fort couvert végétal
qui garnit les pentes qui descendent vers Apremont, mais il semble
passer immédiatement à l'est du Pas de la Fosse.
Son rejet vertical consiste en un abaissement de son compartiment
oriental.
L'azimut du tracé de cette cassure, proche de N30, est nettement plus méridien que celui de la plupart des autres décrochements dextres de Chartreuse. Il porte à y voir le prolongement méridional de la faille de Camelot qui, sur la rive opposée de la trouée de Chambéry - Montmélian, affecte le chaînon du Mont Saint-Michel (et qui se place bien dans le prolongement de son tracé vraisemblable). De fait, aucun autre accident de ce secteur de la Chartreuse n'a à la fois l'azimut ni l'importance du rejet de la faille de Camelot. Or on remarque que c'est pratiquement de part et d'autre du tracé de la faille du Joigny que se fait le passage latéral, au sein des couches du Berriasien supérieur, entre des couches à facies "marnes de Narbonne", qui affleurent à l'est, et des alternances marno-calcaires à passées bioclastiques qui les remplacent à l'ouest du secteur du col du Granier (voir les schémas ci-dessus). On peut donc envisager que la faille du Joigny représente un ancien accident syn-sédimentaire extensif (éventuellement réactivé ultérieurement en décrochement). Cette hypothèse est renforcée par le fait que son orientation, très méridienne, est aberrante par rapport à celle des décrochements de Chartreuse et qu'elle s'accorde mieux avec celle des autres failles extensives syn-sédimentaires connues dans les massifs subalpins septentrionaux. |
tableau de l'Échelle stratigraphique générale |
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24/09/16