crêtes du Joigny |
Le petit chaînon qui ferme la vallée d'Entremont-le-Vieux du côté nord est le plus septentrional de la Chartreuse et porte les ravines par lesquelles prend naissance le torrent du Cozon. Il suit la ligne de partage des eaux entre ce dernier et le versant chambérien de ce massif. Il dessine un arc ouvert en direction du sud qui court globalement d'est en ouest depuis le col du Granier jusqu'au col du Mollard en culminant au Mont Joigny (1553 m.). Le versant oriental de ce sommet est une longue pente boisée qui s'abaisse doucement jusqu'à la trouée des Marches, tandis que la portion moyenne du chaînon, entre la Pointe de la Gorgeat (1486 m.) et le Mont Pellat (anciennement "Pellaz", 1443 m.), tombe du côté nord, sur le versant chambérien de la Chartreuse, lequel est constitué par les pentes douces du "plateau" de Montagnole.
Outre son orientation très inhabituelle pour la Chartreuse, car en grande partie transversale aux structures tectoniques, ce petit chaînon se fait remarquer par rapport aux autres du massif par le fait qu'aucune des trois grosses barres rocheuses habituelles dans ses montagnes (Tithonique, calcaires du Fontanil et Urgonien) n'est représentée dans l'armature de ses sommets. Seuls sont présents, au sommet du Joigny, les calcaires du Fontanil (qui y forment un crêt émoussé terminé par la courte falaise de ses abrupts occidentaux) alors que partout ailleurs on n'y trouve que des couches plus anciennes.
Le chaînon Pellaz-Joigny et la haute vallée du Cozon, vus du sud, depuis le Roc du Pinet. s.S = synclinal du Sappey; a.P = anticlinal de Perquelin ; d.PF = décrochement du Pas de la Fosse; f.J = faille du Joigny (cf. ci-après). "Be sup.bc" = faciès bioclastiques* du Berriasien supérieur à moyen ; "Be mc" = marno-calcaires du Berriasien moyen- inférieur. Le dessin en indentations, dans le versant ouest du Joigny, symbolise la manière dont se fait le passage "latéral" (mal visible dans le détail, en raison du couvert végétal) depuis les faciès bioclastiques du Berriasien supérieur et moyen (à l'ouest) vers les marnes de Narbonne (à l'est) : les "crachées" de sables coquilliers provenant de la plate-forme jurassienne s'amincissent et se terminent en biseau dans les marnes (voir le schéma interprétatif en page "Nivolet Joigny"). |
Ceci est lié à deux particularités qui s'additionnent :
- la première, tectonique, est le fait que la coupe transversale que donne ce chaînon se limite à celle du grand anticlinal de Perquelin, partie axiale de la Chartreuse orientale où les couches sont dans leur ensemble particulièrement surélevées par le plissement ;
- la seconde, stratigraphique, est qu'on se trouve ici dans un secteur où la série stratigraphique du Crétacé inférieur subit un sur-épaississement notable. Toute la crête et ses divers ressauts sont en effet sculptés uniquement dans le Berriasien marno-calcaire, qui a ici une épaisseur particulièrement importante (environ 700 m). La succession des couches de cet étage s'y singularise en outre par l'intercalation, à divers niveaux, de vastes lentilles de calcaires "bioclastiques" (c'est-à-dire formés d'un ancien sable coquillier), dont le faciès est tout à fait analogue à celui des "calcaires du Fontanil".
En définitive la succession stratigraphique est donc ici plus comparable à celle du Fontanil, en Chartreuse occidentale, qu'à celle du col du Granier, qui est caractérisée par la présence d'épaisses marnes de Narbonne (ce qui la rattache au type "Chartreuse orientale"). |
Bien qu'armé par plusieurs bancs calcaires, l'ensemble de ces couches en reste relativement peu pourvu et formé de strates plus ou moins marneuses alternées. C'est pourquoi, du côté de l'intérieur du massif, ces crêtes sont boisées et leurs pentes, qui y sont orientées plutôt dans le sens du pendage (c'est-à-dire globalement vers le SE), sont presque dépourvues de falaises.
Par contre du côté septentrional les couches sont plutôt coupées orthogonalement par la pente : c'est pourquoi la crête Gorgeat - Pellaz domine le plateau de Montagnole par un fort escarpement, formé d'une succession de ressauts. Sur ce versant les ravinements récents, encore actuels, sont en outre très actifs et rafraîchissent en permanence ces abrupts, qu'ils burinent de profonds couloirs.
Le versant nord de la Chartreuse septentrionale, vu du nord, depuis les crêtes du Sire (chaînon Nivolet-Revard). a.B = anticlinal de Barberaz (repli secondaire qui s'amortit en direction du sud) ; f.B = faille N-S du vallon de Bellecombette ; a.P = anticlinal de Perquelin (nommé ici "anticlinal de Montagnole") ; Ø3 = chevauchement de la Chartreuse orientale ; a.M = anticlinal chartreux médian. Bes., Bem., Bei. = distinctions stratigraphiques permises au sein de l'épaisse succession berriasienne grâce à l'existence du niveau repère constitué par le "gros banc du Pas de la Fosse" (gb). d.PF = tracé du décrochement du Pas de la Fosse (le décalage des couches qu'il n'occasionne n'est que très peu visible sous cet angle). |
Ces ravines des versants nord du Mont Pellaz et surtout de la Gorgeat permettent d'observer à distance, dans cette succession très régulière de couches, l'interstratification, entre des couches à prédominance marno-calcaires de bancs plus résistants qui forment les ressauts successifs.
Ces bancs calcaires bioclastiques s'y répètent de façon capricieuse, à divers niveaux de la succession, et se terminent latéralement par de longs biseaux. Leur étude détaillée a permis d'y mettre en évidence qu'ils ne représentent pas des répétitions tectoniques (contrairement à une ancienne hypothèse) mais sont simplement intercalés stratigraphiquement (comme le montre la datation fine de ces niveaux par leur analyse paléontologique) : leur présence résulte d'arrivées de coulées de débris, successives et aléatoires, de provenance sans doute jurassienne, dans une succession continue fondamentalement marneuse.
Le contexte stratigraphique et historique des recherches sur ce secteur est décrit et commenté à la page "stratigraphie du Nivolet-Joigny" |
Cette tranche supérieure, de couches alternées, est séparée des niveaux plus marneux qui affleurent en bas des pentes et sur la plateau de Montagnole par un "gros banc du Pas de la Fosse", qui forme une petite falaise de 30 m environ d'épaisseur. Ce niveau-repère presque continu, qui s'est révélé d'âge Berriasien moyen, doit son aspect massif à ce qu'il est formé de calcaires argileux lités mais de composition peu variable, en particulier dépourvus intercalations marneuses.
L'analyse de la succession de ce versant doit en outre tenir compte de ce que les couches superposées y sont recoupées et dénivelées par une faille d'orientation NE-SW, le décrochement du Pas de la Fosse dont le jeu est dextre. Son tracé est bien visible là où il traverse l'éperon nord de la montagne ("La Lentille") ; il passe tangentiellement aux abrupts nord de la Gorgeat et y est en partie masqué dans les pentes boisées de leur pied (voir le cliché ci-dessus) ; enfin il se poursuit vers le sud-ouest par le col du Midi puis, dans les pentes méridionales du Mont Pellat, jusqu'au col des Fontanettes (voir le premier et le second cliché de la page).
Dans l'ensemble ce secteur est assez peu plissé : cela correspond en premier lieu au fait que les couches du Joigny et de ses pentes orientales s'abaissent doucement jusqu'à la plaine d'Apremont - Chignin : elles y représentent le très large flanc ouest du grand synclinal oriental de la Chartreuse. Son pendage d'ensemble est modéré, de l'ordre de 15°, en direction de l'E-SE et ne montre guère que des ondulations atténuées (elles correspondant sans doute aux plis plus marqués qui sont visibles plus au nord, sur le plateau de Montagnole où ils affectent le Tithonique).
Coupe simplifiée du secteur du Joigny La faille du Joigny est représentée mais non nommée. aP = anticlinal de Perquelin ; aB = ébauche de l'anticlinal de Barberaz (qui s'accentue plus au nord) ; sDC = synclinal de la Dent de Crolles (= synclinal oriental de la Chartreuse). |
À l'ouest du Joigny elles sont affectées par deux plis N-S, qui ne sont pas toujours faciles à discerner car leurs flancs ont des pendages seulement modérés et parce que les tracés de leurs axes sont décalés par le décrochement du Pas de La Fosse :
- L'anticlinal qui passe au col du Midi (= col de la Drière), entre Pointe de la Gorgeat et Mont Pellaz (voir
le premier cliché de la présente page), s'avère correspondre exactement à la voûte de l'anticlinal
de Perquelin. La vallée amont du Cozon prend sa source sous
ce col et suit pratiquement l'axe du pli en direction du sud : de ce fait elle s'y apparente plutôt à une combe
anticlinale encadrée par
les deux crêts du Joigny et du versant est du Montfred (qui sont à vrai dire mal caractérisés, surtout le second qui ne développe qu'une ébauche de son revers). On voit ce pli se dessiner aussi dans les pentes en contrebas nord du col mais il y perd de son importance car sa voûte s'aplatit de plus en plus en allant vers
le nord).
- Plus à l'ouest un synclinal se dessine immédiatement
à l'est du sommet du Mont Pellaz et correspond donc vraisemblablement au prolongement septentrional du synclinal du Sappey. C'est d'ailleurs ce même pli que l'on retrouve plus au sud, dans les pentes orientales
du Montfred, où il est décalé vers l'ouest par le décrochement du Pas de la Fosse (voir le premier cliché de la présente page)
Au pied du versant qui tombe sur le vallon des Fontanettes le flanc ouest de ce pli est directement sectionné en biseau, sans le moindre crochon visible, par le chevauchement de la Chartreuse orientale. On constate donc qu'il n'y a plus aucune trace, à cette latitude, de l'anticlinal de l'Écoutoux, présent plus à l'ouest au niveau de Grenoble. De fait la présence de ce pli ne dépasse pas, en direction du nord, la latitude d'Entremont-le-vieux, point où il se fait sectionner en biseau par la surface de chevauchement.
Enfin l'extrémité
sud-est de la crête du Joigny est coupée
en biais, selon la direction NE-SW, par la faille du Joigny (voir
surtout le premier cliché de la page). Son rejet vertical consiste
en un abaissement de son compartiment oriental (mais ce rejet
peut résulter d'un mouvement de coulissement dextre, puisqu'il
affecte des couches pentées vers l'est).
C'est une cassure assez importante, en dépit du fait que
son tracé soit peu marqué dans la topographie. On
la suit bien vers le sud, jusqu'au point où elle traverse la vallée
du Cozon aux abords septentrionaux d'Épernay mais guère au delà. Vers le nord
son tracé est plus difficile à localiser, en raison
du fort couvert végétal qui garnit les pentes qui
descendent vers Apremont : il semble bien passer immédiatement
à l'est du Pas de la Fosse, car le gros banc repère
y est fortement abaissé, au point de ne plus affleurer
qu'en contrebas du Sévert, dans le ravin du Saut de l'Ane.
Il se perd enfin dans la plaine de Myans au hameau de Musselin
de la commune de Saint-Baldoph.
L'azimut du tracé de cette faille du Joigny, proche de N30, est donc nettement plus méridien que celui de la plupart des autres décrochements dextres de Chartreuse, ce qui porte à ne pas la rattacher à cette famille de cassures. Par contre son tracé se place bien dans le prolongement méridional de celui de la faille de Camelot qui, sur la rive opposée de la trouée de Chambéry - Montmélian, affecte le chaînon du Mont Saint-Michel. On est donc tenté d'y voir une seule et même cassure, d'autant que aucun autre accident de ce secteur de la Chartreuse n'a à la fois l'azimut ni l'importance du rejet de la faille de Camelot. En outre le tracé de la faille du Joigny coïncide d'assez près avec la ligne suivant laquelle on passe, au sein des couches du Berriasien supérieur, de couches à faciès "marnes de Narbonne", qui affleurent à l'est, à des alternances marno-calcaires à passées bioclastiques qui les remplacent à l'ouest du secteur du col du Granier (voir le schéma). Il semble bien que ce soit aussi le cas de part et d'autre de la faille de Camelot, qui d'autre part ne semble pas se poursuivre vers le haut dans la série néocomienne de la vallée de la Leysse. Il est donc plausible d'envisager que la faille du Joigny - Camelot représente un ancien accident syn-sédimentaire extensif (qui a sans doute été réactivé ultérieurement en décrochement). Cette hypothèse est renforcée par le fait que son orientation, très méridienne s'accorde plutôt bien avec celle des autres failles extensives syn-sédimentaires connues dans les massifs subalpins septentrionaux. |
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Pellaz-Joigny |
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