E/ LES TRACES D'UN ANCIEN APLANISSEMENT |
Il est apparu que, pour bien comprendre divers aspects du relief chartreux et notamment le phénomène d'"inversion" du relief, il fallait tenir compte d'un épisode ancien où l'érosion a occasionné un aplanissement de la région, en tronquant par le haut toutes les structures tectoniques déjà formées (voir la note n°168 de la liste de publications)
En effet, en divers endroits, notamment en Chartreuse occidentale (aux Rochers de Chalves, à la forêt de Génieux et aux rochers d'Arpison, cf. ci-dessous), la dissection actuelle du relief (en crêtes et ravins) laisse subsister des panneaux de quelques kilomètres carrés où la surface d'érosion, qui tronque pourtant les couches plissées, est pratiquement plane (quoiqu'à faible pente vers l'est). Ils se reconnaissent à ce que, au lieu de former des crêts* francs et aigus, dont le revers est formé de dalles structurales, les barres calcaires y sont coupées, à leur partie la plus élevée, par un chanfrein oblique aux strates.
Ces dispositions se comprennent bien, dès lors que l'on y voit des restes d'une surface d'aplanissement, créée par une érosion ancienne, ayant intéressé toute la région avant que n'entre en jeu l'érosion différentielle qui a ciselé crêtes et vallons.
Version de plus grande taille de cette image
Schéma théorique montrant comment l"'inversion de relief" peut s'expliquer par un arasement préalable des structures les plus saillantes, notamment des carapaces calcaires des voûtes anticlinales
Cette interprétation a en outre l'avantage
d'expliquer d'autres singularités du relief, notamment
le fait que le chaînon de la Grande Sure se singularise
par le fait que ses crêtes sommitales sont constituées
par des calcaires du Fontanil, et non par de l'Urgonien, comme
dans la plupart des autres chaînons.
En effet l'aplanissement qui a arasé, jusqu'à une
assez grande profondeur, la voûte de l'anticlinal de la
Chartreuse occidentale, a eu pour résultat la mise à
nu précoce des calcaires du Fontanil (fig.
ci-après, voir aussi les coupes en marge inférieure
de la carte géologique Grenoble). Les étapes suivantes
de l'érosion n'ont donc plus eu à ici à crever
la carapace urgonienne (déjà enlevée) et elles ont eu toutes facilités
pour dégager les calcaires du Fontanil et pour les porter
en relief (d'autant plus qu'ils sont ici particulièrement
puissants et massifs, cf p."Grande Sure").
Quatre étapes dans l'évolution du relief de
la marge ouest de la Chartreuse - La coupe 1 montre que de nombreux anticlinaux jurassiens (notamment celui du Ratz) ont été formés avant la première érosion continentale, qui à précédé la transgression miocène, car cette dernière les a plus ou moins profondément crétés ; |
Le même phénomène de troncature plane, affectant des couches plus inclinées, s'observe également en Vercors occidental (au Bec de l'Orient et dans le secteur du Serre Cocu, au nord de Pont en Royans), dans le Vercors oriental (au Grand Veymont) ainsi qu'au front ouest des Bauges, dans le chaînon du Nivolet-Revard et ceux de la montagne de Bange et du Semnoz. Il en est de même à l'ouest des Bornes, au Salève, où la montagne culmine par un plateau mamelonné de collines hauteriviennes, parce que l'anticlinal qui la forme a été écrêté de son Urgonien et dans les Bornes occidentales au Parmelan où un compartiment de faille soulevé est aplani au niveau du reste du plateau sommital.
Ces faits indiquent que toute la marge ouest des massifs subalpins a été affectée par une étape de formation du relief relativement très ancienne (voir ci-après ), sous des conditions climatiques très spéciales.
Il semble même que les changements morphologiques que l'on observe dans le sud de la chaîne de Belledonne (où la pénéplaine anté-triasique est dénudée mais à peine entaillée) s'expliquent par ce phénomène (l'aplanissement ayant mis à nu et érodé le socle cristallin au nord de Chamrousse et non au sud).
Pour tenir compte de ce fait il faut sans doute admettre un schéma d'évolution conjointe des déformations tectoniques et du relief du genre de celui ci-après :
Une telle pénéplanation*
suppose des climats très différents de l'actuel,
à l'occasion desquels l'érosion ne tenait pas compte
des différences de nature des roches, ce qui est particulièrement
le cas des climats chauds et humides. Il ne semble pas pouvoir
s'agir de l'épisode d'âge nummulitique (bien que
ses caractéristiques aient bien été celles
là) car les traces de ce dernier sont fossilisées sous
la molasse miocène, alors que l'aplanissement reconnu ici semble bien avoir été
postérieur à des étapes de plissement qui
ont affecté le Miocène.
L'hypothèse la plus plausible est donc que cette pénéplanation
remonte à l'épisode climatique qui a provoqué
l'aplanissement des plateaux du Bas Dauphiné (Chambaran),
c'est-à-dire à l'aube du Quaternaire (Villafranchien
ancien ?). Cela implique que les mouvements qui ont surhaussé,
dans les massifs subalpins (d'un bon millier de mètres),
la surface ainsi obtenue, étaient encore plus tardifs :
cela concerne, en l'occurrence, le jeu des chevauchements qui bordent
ces massifs du côté occidental, et plus précisément
du chevauchement de Voreppe,
pour ce qui est de la Chartreuse.