Le défilé "des trois tunnels"

La partie médiane des gorges du Guiers Mort, en aval du vallon du Couvent

Entre le confluent du ruisseau de Saint-Bruno, qui draine le vallon du couvent, et la puissante falaise de la Molière qui débouche sur l'élargissement des abords du Pont Saint-Bruno la route D.520b suit, presque partout en encorbellement, la rive droite du talweg du Guiers Mort dans la partie à peu près médiane de ses gorges. Ce tracé (qui ne comporte désormais plus que deux tunnels et une galerie couverte) permet d'en analyser la constitution en assez grand détail et de constater qu'elle s'avère être la plus complexe de toute la vallée (voir la coupe d'ensemble à la page "Guiers Mort").

A/ Aperçu d'ensemble

Pour résumer la structure tectonique on peut dire que trois types de dislocations s'y rencontrent et se recoupent les unes les autres :


Carte détaillée du secteur des trois tunnels ; P = parking de sortie amont du tunnel de la Molière (point 6b du schéma).
D1 = décrochement de l'Oeillette ; D2 = décrochement du Trou de l'Ane.
L'axe de l'anticlinal médian de la Chartreuse est indiqué par une ligne de points.
Ø'
et Ø2 représentent les deux surfaces de cassure majeures (occidentale et orientale) du chevauchement de la Chartreuse médiane : elles encadrent une lame de terrain étirée correspondant au flanc ouest de l'anticlinal médian)
L'astérisque, situé à peu près au centre, désigne la position du détail du chevauchement Ø' visité à la page "route des Chartreux".

1 - la gorge y traverse l'anticlinal médian presque orthogonalement et au niveau de son le coeur tithonique (sa charnière est même visible dans l'abrupt dominant le "pont du Trou de l'Ane" du côté amont du 2° tunnel) ;
2 - ce pli est rompu, du côté ouest, par le chevauchement de la Chartreuse médiane (Ø2), qui passe à l'entrée amont du 1° tunnel (point 6b) ;
3 - enfin deux décrochements tranchent ici ces accidents en biais : il s'agit des deux branches entre lesquelles se partage, à son extrémité occidentale, le décrochement de la Roche May.
D1 (= décrochement de l'Oeillette), qui représente la branche nord du décrochement de Roche May, est clairement observable à l'entrée aval du 1° tunnel (pont de la Molière, point 6a) ;
D2 (= décrochement du pont du Trou de l'Ane), qui représente la branche sud du décrochement de Roche May,
forme le mur rocheux de l'entrée amont du 2° tunnel (point 6c).

Cette structure est résumée par le schéma perspectif ci-après :


D1 = décrochement de l'Oeillette ; D2 =décrochement du Trou de l'Ane
Pour rendre le schéma plus clair, l'orientation de ces deux failles est indiquée comme orthogonale à l'axe de l'anticlinal médian : en fait elles sont orientées SW-NE tandis que l'axe anticlinal est sensiblement S-N
Dans la partie de droite (B) le flanc ouest de l'anticlinal est dessiné en tirets, car il est enlevé par l'érosion le long de la rive droite du Guiers Mort.
Pour plus de détails et pour les explications qu'appelle ce schéma (notamment les numéros 6a, 6b et 6c), voir le fascicule n°1K et la coupe du Guiers

La suite de la présente page donne une description relativement détaillée des observations que permet un parcours de ce tronçon de route depuis l'aval vers l'amont.

B/ Abords du tunnel de la Molière ("premier tunnel" = point 6a du schéma ci-dessus) :

1) L'accès aval (occidental) à ce tunnel se fait par le pont de la Molière, de l'appui aval duquel on distingue bien la structure du lieu. L'existence d'une faille responsable de la ravine que franchit le pont est mise en évidence par l'érosion qui a dégagé la surface de cassure par un étroit couloir quelques mètres au nord de l'ouverture du tunnel (appui amont du pont). L'orientation de cette surface, complétée par la cartographie (voir ci-dessus) montre sans ambiguité qu'il s'agit du prolongement oriental du décrochement de l'Oeillette (voir la page "Pont Saint-Bruno")

image sensible au survol et au clic

Le pont et l'entrée aval du tunnel de la Molière, vus d'aval (du sud-ouest), pratiquement dans l'enfilade du plan de faille D1= décrochement de l'Oeillette.
La double flèche rouge mesure le rejet vertical (30 m) résultant du coulissement horizontal de la faille (ce déplacement s'est en effet appliqué à des couches qui sont inclinées vers l'arrière de la vue). Les couches à Orbitolines affleurent aussi (abaissées par la faille) en contrebas du pont à droite, dans le ravin qui rejoint le lit du Guiers.
En se rapprochant du miroir de faille on y distinguerait des cannelures horizontales, de longueur d'onde pluri-décimétriques.

Le miroir de faille ainsi dégagé est vertical et splendidement lisse, garni de cannelures horizontales à intervales de longueur d'onde métrique, toutes caractéristiques dépourvues d'ambiguité quant à son sens de mouvement relatif des deux lèvres.
C'est au pendage vers l'est des couches qu'est dû le rejet vertical d'abaissement de la lèvre sud (ce sont les couches à Orbitolines abaissées qui affleurent au fond de la ravine que franchit le pont).

2) En amont du tunnel de la Molière ("premier tunnel" = point 6b du schéma ci dessus) :

image sensible au survol et au clic

L'entaille de la D.520b à l'amont du tunnel de la Molière, vue du bord sud de la route (talus tombant vers le lit du Guiers)
commentaires ci-après (schéma et sa légende)

L'entaille du talus de la route montre, sur 10 à 20 m, des calcaires du Fontanil inférieurs (reconnaissables à ce qu'ils sont relativement riches en passées marneuses, entre les bancs bioclastiques). Ces couches, à pendage subvertical, appartiennent au flanc ouest de l'anticlinal médian et reposent sur l'Urgonien du tunnel par un contact tectonique. C'est pourquoi elles sont écrasées au point de développer une schistosité verticale dans leurs lits marneux et hachées de microfailles.
Ces affleurements appartiennent à la zone fracturée, large ici d'environ 30 m., qui correspond au chevauchement de la Chartreuse médiane. Au delà les affleurements sont constitués par du Tithonique à fort pendage ouest et appartiennent donc clairement au flanc ouest de l'anticlinal médian
.

Structure du flanc ouest de l'anticlinal de la Chartreuse médiane
au bord de la route D 520b.
(voir le cliché ci-dessus)

Le chevauchement de la Chartreuse médiane correspond à un couloir de roche broyée entre deux surfaces de cassures majeures Ø', la plus occidentale et Ø2, qui semble être celle présentant le plus fort rejet (elle fait reposer le Tithonique presque directement sur les calcaires du Fontanil)

Voir ci-après l'explication des trois croquis A , B, C

(a) Croquis des affleurements du bord de route (coté montagne) en amont du 1° tunnel (un peu schématisé).
La faille qui limite la zone fracturée du côté ouest est désignée par Ø'. Une zone de mylonite marneuse correspond à l'écrasement et à l'étirement de l'épaisse succession de marno-calcaires du Berriasien, le long de l'accident principal Ø2. Il s'y développe une schistosité S1 pratiquement verticale (qui n'est d'ailleurs visible que si l'on dégage la végétation par grattage dans le ravineau en amont du ponceau).

(b) Analyse plus détaillée du secteur situé à l'aplomb de l'astérisque B:
Cet examen rapproché des calcaires du Fontanil révèle surtout un entrecroisement de cassures secondaires qui fractionnent la roche en un damier confus.
Au total ces cassures se révèlent appartenir essentiellement à deux familles presque orthogonales et de rejets opposés. Les cassures de la famille inclinée vers la droite (R) ont tendance à prendre le pas sur celles de la famille inclinée vers la gauche (R') qui sont souvent interrompues et tordues par les précédentes.
On distingue cependant le pendage des bancs , grâce à leurs joints marneux, feuilletés. Ces surfaces So, subverticales, sont reprises par un feuilletage schisteux S1 (en rouge) qui leur est très peu oblique mais dont le crochonnement des feuillets indique le sens de rejet des cassures.
Dans le Tithonique un réseau de fractures analogue peut être décelé mais il y faut un examen plus attentif car les limites de bancs sont plus difficiles à distinguer des fractures (et ces dernières sont en outre plus espacées).

(c) Schéma interprétatif
Il montre que l'on peut considérer ces deux familles de cassures comme conjuguées et traduisant un allongement X subvertical (étirement du flanc de pli) et un raccourcissement Z sub-horizontal (compression E-W du massif).
On peut en outre interpréter ces cassures en termes de failles secondaires, "de Riedel", induites par la faille majeure Ø2 (les unes, R, sont synthétiques du mouvement de la faille principale, les autres, R', sont antithétiques par rapport à ce mouvement).

3) Les pentes de rive droite du Guiers au dessus du niveau de la route D.520b .

Le tracé de l'ancienne route des chartreux est maintenant sectionné par la D.520b, 200 m en amont du Pic de l'Oeillette, et 150 m en aval du tunnel de la Molière : on l'y repère par une entaille (suspendue quelques mètres au dessus de la chaussée de la D 520 b) dans l'Urgonien inférieur.
Ce qui en subsiste au dessus de la route actuelle permet d'intéressantes observations complémentaires éclairant celles de la route actuelle (voir la page "route des chartreux").

On peut rejoindre cette ancienne route par un sentier mal tracé qui part de l'appui aval du pont de la Molière (il grimpe sur la dalle structurale de la limite entre Urgonien inférieur et couches à Orbitolines).
Il est plus facile de la rejoindre plus à l'est en empruntant, à l'entrée amont du tunnel de la Molière, côté torrent, un chemin d'exploitation forestière qui rejoint cette ancienne route en passant par dessus le tunnel.

C/ En amont du Trou de l'Âne :

1) Le second tunnel s'ouvre, après un intervale métrique de marno-calcaires broyés (Berriasien écrasé vraisemblable) en attaquant un mur de calcaires massifs du Tithonique à la base duquel s'ouvre l'excavation karstique du "Trou de l'Ane". Ils appartiennent toujours au flanc ouest de l'anticlinal médian car ils sont dotés d'un pendage ouest de l'ordre de 45°. Du côté amont le tunnel débouche sur un ravineau très abrupt que la route franchit par un pont assez court et qui est barré à son sommet par un mur de soutènement (bien dégradé) résidu de l'ancienne route des chartreux (point 6c du schéma).

Le mur rocheux presque vertical dans lequel s'ouvre le porche amont de ce tunnel correspond au miroir d'une faille de décrochement (D2 du schéma général) et donne un splendide coupe naturelle où l'on voit la charnière (qui est tranchée presque orthogonalement).

image sensible au survol et au clic

L'abrupt du Trou de l'Ane, vu du sud-sud-ouest, depuis le parapet du pont de l'entrée amont du 2° tunnel.
a.M = charnière de l'anticlinal médian ; D2 = décrochement du pont du Trou de l'Ane (les demi-flèches indiquent le sens du rejet horizontal)

Le rejet coulissant est démontré par la juxtaposition de couches affectées par la charnière de l'anticlinal médian avec celles flanc oriental de ce même pli qui affleurent en lèvre méridionale, en avant du ravin (voir le schéma en début de page).

Ce décrochement s'avère se prolonger de part et d'autre de la gorge du Guiers :
- d'une part vers le SW, en rive gauche du Guiers, à celui de la Cochette (voir la page "Charmant Som nord") ;
- d'autre part vers le NE, en traversant le thalweg de Saint-Bruno juste en aval du Pont des Allemands (500 m au nord du Pont Saint-Pierre) pour se raccorder, au niveau de l'Urgonien du flanc oriental du grand anticlinal, au décrochement du col de l'Alpe (voir la page "Grand Som"), plus précisément à sa branche de Roche Cla, (voir la page "Saint-Pierre-de-Chartreuse").

Le 3° tunnel est remplacé par une courte galerie couverte qui protège la D 520b d'un passage sujet aux chutes de pierres.

Le 4° tunnel, que traversait la route a été dynamité et remplacé par un passage entaillé en tranchée (limite orientale de la carte schématique ci-dessus). où elle décrit un fort tournant saillant.

2) À l'amont de l'emplacement du 4° tunnel le tracé de la route tourne à angle droit et devient N-S pour s'engager dans le vallon du couvent de la Grande Chartreuse, qu'elle franchit, 400 m en amont, au Pont Saint-Pierre. A la faveur de ce changement de direction, la chaussée coupe alors les couches du Tithonique supérieur parallèlement à leur azimut, et les entaille en les sapant par le bas : cela a déclenché le glissement de certaines strates et la dénudation des strates inférieures, en formant de belles dalles structurales. Il a d'ailleurs fallu stabiliser les strates en surplomb (qui n'ont encore pas glissé mais qui menacent de le faire, en raison de leur forte déclivité), en y plaçant des "épingles" d'acier.

image sensible au survol et au clic
La D.520b après le tournant du 4° tunnel
Dans l'entaille de la route, orientée ici comme l'azimut des strates, le limites entre deux bancs successifs courent presque horizontalement à flanc de l'escarpement, au pied des rebords d'arrachement qui coupent les strates orthogonalement à leurs surfaces (car ils se sont découpés en utilisant les diaclases* de la roche)
Vue rapprochée de l'entaille de la D.520b dans les bancs jointifs du Tithonique
Les hachures verticales bleues indiquent les tranches de bancs, surplombantes, le long desquelles s'est produit l'arrachement des portions de strates qui a dénudé des surfaces de dalles structurales. Les flèches désignent les "épingles" (tiges filetées traversant une plaque métallique carrée).

Le contact stratigraphique normal des marno-calcaires à ciment (gris sombre) du Berriasien sur le Tithonique (blanc) a lieu dans le tournant creux situé 200 m en amont mais il y est masqué par des éboulis couverts de broussailles. Les strates berriasiennes dont dégagées alternativement de façon transversale aux bancs et de façon parallèle, ce qui a justifié également, dans ce dernier cas, la pose d'épingles (dont l'efficacité est moindre car les bancs marno-calcaires ont moins de cohésion et s'éboulent par fragments en dépit de ce dispositif).

La route continue son trajet, désormais vers le nord jusqu'au Pont Saint-Pierre, en traversant simplement le contact stratigraphique de la limite entre Jurassique et Crétacé (voir la page "Couvent").


aperçu d'ensemble sur la Vallée du Guiers Mort .
plus haut dans le même versant : "route des chartreux"
plus en aval "Pont Saint-Bruno" ----Début de la page Trois tunnels----- plus en amont : Couvent

PAGE D'ACCUEIL CHARTREUSE
Page d'accueil générale du site
Dernières retouches apportées à cette page le 29/05/24