Le Bec Charvet et le ravin du Manival
Le rebord subalpin entre Saint-Ismier et Bernin

Le Bec Charvet (1738 m) est le sommet le plus méridional du petit chaînon du col du Coq, qui s'allonge, à l'ouest du col des Ayes, parallèlement à celui de la Dent de Crolles.
Ce chaînon est fondamentalement un mont dérivé* armé par le Jurassique de l'anticlinal de Perquelin. Il est tranché obliquement par le rebord subalpin qui en donne ainsi une coupe naturelle. L'érosion torrentielle, en remontant vers le nord depuis le fond du Grésivaudan, y a ouvert le profond ravin du Manival : le creusement de ce dernier a fait reculer le bord de la corniche tithonique, dont le tracé cartographique dessine ici un golfe qui rentre dans le massif chartreux de plus de 2 kilomètres vers le nord.

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Le versant nord du Bec Charvet et la prairie du col du Coq, vus du nord, depuis l'échine ouest de la Croix de Pravouta.
a.P = anticlinal de Perquelin ; ØC = chevauchement du Bec Charvet ; ØM = chevauchement du Manival.


Au Bec Charvet le rebord subalpin n'est plus constitué par le Tithonique proprement dit : c'est le Kimméridgien qui en forme le sommet même ; à l'est du sommet, là où passe la charnière du pli, l'érosion a entaillé la crête de partage des eaux entre Chartreuse et Grésivaudan d'une encoche qui met même à nu l'Argovien du coeur anticlinal. La voûte du "mont" dessiné plus au nord par l'anticlinal de Perquelin est donc ici fortement décapitée.

 En outre, au nord-est du Bec Charvet, ce qui reste de ce mont est tranché par l'entaille, pratiquement est-ouest, du col du Coq. La localisation de cette dernière ne saurait avoir une origine structurale car elle coupe transversalement plis et failles de ce secteur sans qu'ils y montrent le moindre décalage. Elle a sans doute été ouverte - et en tout cas utilisée - par des écoulements d'eaux de fonte émises par le glacier du Grésivaudan qui s'écoulaient en direction de la dépression de Saint-Pierre-de-Chartreuse. Mais ceci n'a pu avoir lieu que lors d'une glaciation antérieure au Würm car le glacier wurmien n'a pas atteint cette altitude.

Du Bec Charvet se détachent vers le sud deux crêtes parallèles qui vont l'une, du côté ouest, au col de la Faita et l'autre, du côté est, au col du Baure. Elles représentent les deux crêts de Tithonique symétriques correspondant aux deux flancs de l'anticlinal de Perquelin, séparés ici par le profond éventrement du pli dû au creusement du ravin du Manival. L'érosion remontante, encore fort active progresse en effet en direction du sommet de la montagne en affouillant les marno-calcaires de l'Argovien, plus tendre, du coeur du pli.

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 Le ravin du Manival
vue globale, d'enfilade du sud, d'avion depuis l'aplomb des Eymes

Le lit du torrent du Manival suit le coeur argovien de l'anticlinal de Perquelin.

Sur ce cliché on voit d'une façon particulièrement nette le partage de son cours entre les trois parties classiques que sont :
- l'entonnoir de réception (où se fait l'essentiel de l'érosion),
- le chenal d'écoulement (par lequel transitent les matériaux arrachés à la montagne) et
- le cône de déjections (où ces matériaux sont étalés par divagations du lit à l'occasion des crues).

On a localisé par une ligne de gros tirets blancs le tracé de la faille du Baure : on voit que le tracé de cette cassure ne guide nullement celui du lit actuel du torrent et que son rôle dans le relief actuel se limite à déterminer l'ensellement du col du Baure, sur la crête de rive gauche du ravin.
Si l'on ne peut exclure que cette cassure ait joué un rôle dans l'implantation originelle de l'entaille du Manival elle n'a donc plus eu d'effet ultérieur sur le relief.


La mise à nu de ces terrains tendres, qui a favorisé ensuite l'éventration du pli par la jeu des ravinements, est sans doute due à une ablation préalable de la carapace de Tithonique de ce pli. Le fait que cette éventration cesse au nord du Bec Charvet résulte vraisemblablement de la surélévation progressive de l'axe du pli vers le sud : ce n'est sans doute qu'au sud du Bec Charvet que la voûte anticlinale atteignait une altitude suffisante pour avoir été tranchée par la surface d'aplanissement qui s'est formée au stade le plus précoce de l'érosion des massifs subalpins (voir le développement spécialement consacré à cette question).
On pourrait même se demander si la forme du sommet du Bec Charvet, qui n'est pas celle d'un crêt mais plutôt celle d'un petit plateau doucement incliné vers l'ouest (sectionnant des couches plus pentées que lui), ne résulterait pas de cet aplanissement ancien (ce "planeau" en serait un témoin résiduel). Mais l'altitude de ce sommet est peut-être trop faible pour que cette hypothèse soit vraiment plausible.

L'entaille du Manival permet d'analyser plus en détail la structure du cœur jurassique de l'anticlinal de Perquelin.

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Les crêtes méridionales du Bec Charvet et le ravin du Manival (d'enfilade), vus d'avion du sud, depuis l'aplomb de Saint-Ismier.
a.gC = anticlinal des Grands Crêts ; s.F = synclinal du col de la Faita ; a.P = voûte érodée de l'anticlinal de Perquelin ; ØM = chevauchement du Manival ; ØB = chevauchement du Baure ; s.Or = synclinal de la Chartreuse orientale.
Noter le rebroussement, en crochon, du Tithonique de Château Nardent, qui est visiblement dû au chevauchement du Baure.


On y voit d'abord que son flanc ouest est affecté par un enchaînement de deux ondulations secondaires, de taille hectométrique, que l'on peut appeler le synclinal de la Faita et l'anticlinal des Grands Crêts. Il s'avère que ces plis, bien que mineurs, ont toutefois une assez grande continuité N-S.

 En effet on retrouve plus au nord, dans le versant ouest du col du Coq, puis (après un décalage dû au décrochement de Bellefond) au sommet du Roc d'Arguille et enfin dans les basses pentes de la Scia, à l'est de Saint-Pierre-de-Chartreuse, un repli synclinal similaire, qui semble donc prolonger le synclinal de la Faita vers le nord.


 Schéma interprétatif simplifié du chaînon Arguille - Pravouta - Bec Charvet, montrant ses rapports avec le synclinal oriental, de la Dent de Crolles.

(pour plus d'exactitude et de détails voir les coupes ci-après)
 a.P = anticlinal de Perquelin ; f.B = faille du Baure ; sDC = synclinal de la Dent de Crolles (= synclinal chartreux oriental).
La faille du Manival n'est pas représentée : en effet, à la latitude du Roc d'Arguille, elle se fusionne à la faille du Baure

Mais le fait principal est que le coeur de l'anticlinal de Perquelin est rompu par un système de deux failles de chevauchement à vergence* est, la faille du Baure (qui passe au col de ce nom, simple ensellure de la crête de rive gauche du ravin) et la faille du Manival, qui coupe l'axe du ravin en oblique, à angle aigu. Le rejet de cette dernière, plus modeste, n'en fait sans doute qu'une cassure secondaire, satellite de la précédente
Ces cassures ont pour effet de surhausser le coeur de l'anticlinal par rapport à son flanc oriental - qui est aussi le flanc ouest du synclinal de la Chartreuse orientale. Ce dernier se trouve d'ailleurs rebroussé et même renversé vers l'est, en crochon, au petit sommet de Château Nardent.

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Le ravin du Manival, vu du sud, depuis le village du Manival, au sommet du cône de déjections.
a.P = voûte érodée de l'anticlinal de Perquelin ; ØC = chevauchement du Bec Charvet ; ØM = chevauchement du Manival ; ØB = chevauchement du Baure. Noter le crochon* qu'il détermine dans les pentes occidentales du col du Baure et surtout au Château Nardent.


Enfin, dernière complication, on constate, sur chacun des deux flancs du pli, d'une part au Bec Charvet (flanc ouest) et d'autre part sous le Château Nardent (flanc est), la présence d'une faille ayant un rejet de chevauchement à vergence ouest. Ces deux cassures n'ont pas le même pendage mais l'une comme l'autre font avec les couches le même angle aigu (de valeur normale pour une faille "inverse") en dépit des changements de pendage de ces dernières.

Il s'agit sans doute de deux tronçons d'une même faille, le chevauchement du Bec Charvet, qui a été déformée par le plissement et décalé par les autres failles. En tous cas, qu'il s'agisse de deux failles similaires ou d'un accident unique, elles sont tout à fait comparables, par leur sens de rejet et par leur attitude actuelle, aux chevauchements du Jalla ou du Pas Guiguet et appartiennent certainement, comme eux, à la famille des failles inverses anciennes, dont la formation a préludé à celle des plis (voir la page "failles de la Chartreuse orientale").

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La face sud du Roc Charvet, vue d'avion (en hiver), du sud, depuis l'aplomb du ravin du Manival.
L'entaille du haut ravin du Manival permet de distinguer, particulièrement lorsque la neige souligne les strates, la faille de chevauchement du Bec Charvet (ØC), qui se dédouble et s'amortit vers l'ouest (l'astérisque rouge localise le détail représenté sur le second des deux clichés suivants).
Les crochons* indiquent clairement le sens du mouvement (demi flèches), qui est celui d'une faille de raccourcissement (faille compressive, "inverse"). Compte tenu du pendage de la cassure le compartiment supérieur s'abaisse vers l'ouest sous l'effet de ce rejet, ce qui est la disposition inverse de celle que l'on observe dans ce type de faille : il s'agit donc nécessairement d'une cassure antérieure au plissement, qui a été basculée vers l'ouest, avec le flanc ouest de l'anticlinal de Perquelin, dans lequel elle s'inscrit (cette structure est très comparable à celle du Jalla).

Les ravinements du versant sud-occidental du Bec Charvet permettent de constater que ce chevauchement se partage d'abord en deux surfaces de cassure puis que chacune d'entre elles s'amortit vers l'ouest en se perdant dans une pile de replis fortement déversés vers l'ouest.

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Vue rapprochée des falaises sommitales du Bec Charvet (depuis le fond du ravin du Manival) (cliché original obligeamment communiqué par Mr. J.C. Boissin).
Pour placer ces détails dans leur contexte comparer avec la partie centrale du cliché ci-dessus. Øsup et Øinf désignent les deux branches du chevauchement du Bec Charvet.


En effet au niveau de la crête, à proximité du col de la Faita, on n'observe plus de rupture des couches mais seulement leur brutal changement de pendage résultant de l'amortissement des surface de chevauchement.


Vue rapprochée des microplis décamétriques de l'arête sud du Bec Charvet (bord gauche du cliché d'ensemble) (cliché original obligeamment communiqué par M. Sébastien Liot).
Ces replis absorbent, par leur déversement vers la gauche (vers l'ouest) le déplacement, dans ce sens, de la branche supérieure du chevauchement du Bec Charvet.
Pour situer ces détails dans le contexte structural du secteur, voir la moitié inférieure gauche des coupes ci-dessous.


 


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Quatre coupes successives, du nord (haut) au sud (bas)
De haut en bas : - par le Roc d'Arguille septentrional ; - par le sommet de Pravouta et le col des Ayes ; - par le Bec Charvet; - par l'éperon de Château-Nardent ; elles sont replacées les unes par rapport à aux autres de façon à montrer au mieux la continuité N-S des dispositions structurales (qui est perturbée cependant par le passage du décrochement de Bellefond entre les deux coupes supérieures).
La voûte de l'anticlinal de Perquelin est affectée par deux sortes de cassures (toutes grossièrement parallèles à l'axe du pli) :
1 - c.M = chevauchement du Manival, et c.B = chevauchement du Baure. Ces deux failles inverses, pentées vers l'ouest et à vergence est, traduisent une déformation rétroverse tardive de l'anticlinal de Perquelin.
2 - c.C = chevauchement du Bec Charvet. C'est une faille inverse à vergence ouest, formée antérieurement à la formation de l'anticlinal, qui a été ployée avec les couches lors du plissement (et qui a été décalée par le jeu des failles rétroverses).
N.B. Tous ces accidents sont, en outre, coupés transversalement par le décrochement de Bellefond, qui décale le Bec Charvet vers l'ouest par rapport au Roc d'Arguille (il passe entre les deux coupes supérieures).



Carte géologique simplifiée (fond topographique d'après la carte IGN au 1/100.000°)
carte géologique au 1/50.000° à consulter : feuille Domène

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